15. Partenaire

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Dans l'ombre de la nuit, Poe songeait. Les pensées tournoyaient à toute allure dans son crâne, telles des feuilles d'érables qu'une rafale automnale agiteraient sans fin, chassant au passage des fragments de mélatonine. Le sommeil l'éludait. Ou peut-être était-ce l'inverse ?

Sur Ajan Kloss, les assemblées autour du brasier s'enchaînaient, du pâle aurore aux derniers rayons crépusculaires. Jour après jour, la vigueur de la Générale Organa se craquelait au profit de l'asthénie. Aux yeux de ses intimes, aucun doute ne subsistait : l'étoile ardente qu'était Leia déclinait. Naturellement, la Résistance épousait l'état d'âme de sa mère. Terminés le sourire ensoleillant le visage de Kaydel, les plaisanteries de Temmin réchauffant les cœurs, les discours vifs de Larma. Le désespoir transpirait désormais de leurs faciès assombris par les affrontements passés, par les luttes à venir. Des luttes qui, pour l'heure, annonçaient leur plus plate défaite... Car aux appels de coalition lancés aux quatre coins de la galaxie, seule une poignée de peuples daignaient répondre, par la négative pour l'immense majorité. Gungans, Céréens, Ardenniens, Kel Dors... Quelques alliés fidèles à la Liberté et à la démocratie depuis le commencement. Pas assez, cependant, pour assurer la victoire.

Soupir silencieux. Etendu sur les draps immaculés, Poe pivota d'un côté, puis de l'autre. Les mouvements saccadés ressuscitèrent une autre préoccupation. Deux lunes s'étaient levées depuis ce prompt appel avec le Suprême Leader de l'Ordre adverse. Sans l'ombre d'un signe de vie de leur Ambassadrice depuis. Où diable était-elle ? Et dans quelles conditions ? En vie ? A l'agonie ? L'anxiété le rongeait tout doucement. Dans le fond pourtant, Poe en était persuadé : aux côtés de cet homme torturé et ombrageux, Rey demeurait en sûreté.

Sa rencontre, en chair et en os, avec la mythique guerrière remontait à peine à la mortelle bataille de Crait. Au terme de longs mois, Poe avait déjà bien deviné les lisières de cet ardu puzzle que représentait la pilleuse révolue, de cette enfance volée par un désert solitaire à cette responsabilité pesant dorénavant sur ses épaules. Et puis une autre pièce, sciemment dissimulée aux prunelles de tous. Or, Poe n'était pas dupe, peut-être juste plus lucide. Cette autre pièce - il l'avait compris à l'issue d'une nouvelle poignée de semaines - incluait un nom, vil, maudit. Cette autre pièce, c'était le lien unissant les deux piliers de cette guerre galactique, plus intime et sinueux que ce que Rey ne laissait entrevoir. Sous les silences et les regards fuyants, Poe en avait deviné la profondeur. Ainsi que la réciprocité, deux jours auparavant, à l'entente de cette voix, tourmentée et protectrice, avec laquelle quelques paroles avaient été échangées. Cette certitude acquise, une gamme de choix s'était dessinée, aux conséquences aussi anodines que destructrices. Haut la main, le silence l'avait emporté grâce à la solide confiance nouée avec la guerrière. Qu'importait cette relation insolite, Rey conserverait sa loyauté envers la Résistance. Du reste, personne ne luttait contre les sentiments, Dieu qu'il le savait.

D'un long battement de paupières, Poe se plongea dans une noirceur opaque. Aussitôt, une autre feuille dansa plus follement parmi ses consœurs. D'un effort mental, il s'efforça de la repousser. Peine perdue. Le fichu déserteur envahissait toujours ses pensées à l'improviste. Son sourire enfantin, ses remarques saupoudrées d'ironie, sa fidélité inébranlable envers ses proches. Un contact prolongé, un regard intense, et le cœur de Poe s'endiablait tel un petit fou, avant de s'engourdir face à la crainte du rejet, ou pire, la fin d'une profonde amitié.

Lorsque, tard le soir, le jadis stormtrooper infiltrait aussi sournoisement ses pensées, Poe s'isolait dans les entrailles de son Black One, le temps d'une virée dans le firmament, le temps de relaxer le feu qui le consumait nuit après nuit. L'enivrante sensation de haut-le-cœur annihilait tout, l'espace de quelques heures. C'était sa drogue, son opium. Ce soir encore, son encéphale épuisé par la tempête psychique réclamait l'asthénie.

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