Le plongeur

948 30 16
                                    

                                          1
La lampe de chevet renvoie cette lumière faible, jaunâtre, qui me permet de voir un peu de quoi a l'air le plafond tout en ayant le dos collé au matelas de mon lit à deux places. Les murs n'ont aucune importance, tout s'écroule autour de moi dans le monde de mon imagination. Je me vois sous l'eau, tout commence à être de plus en plus flou, la réalité n'a plus de sens, l'eau qui m'envahit est bien chaude, elle découle de partout, sa propagation se fait aussi lente que le battement de mes cils noyés, je les bats encore pour y voir clair, je ne peux pas bouger, chaque seconde me tire vers le bas de cette eau, celle qui ne provient pas de l'extérieur, mais de moi, mes paupières, mon égo, de mon âme et de mon cœur. Est-ce qu'on m'a poussé ? Ai-je plongé tout seul ou est-ce que quelqu'un m'a vu faire ?
Ce que je sais, c'est que je suis le seul à connaître les profondeurs de mes eaux, je n'ai jamais invité quelqu'un à surfer avec ou sans moi, ou même essayé de noyer le for intérieur d'une personne dans le mien.

Le jaune tamisé juste à côté me montre qu'il y aura toujours un soleil même quand vous vous effondrez dans le noir profond de vos douleurs, un soleil au-dessus de votre mer, qui vous attend de là, à nager près de cent mille pieds pour atteindre la surface, de vous en sortir afin qu'il puisse vous montrer le chemin, et c'est ce que je vis sur ce lit, dans cette pièce et dans ma tête. Je pleure, je regarde mes larmes chaudes brûler mes joues, me cacher la lueur du plafond, m'effondrer dans mes songes, me donnant raison d'être seul dans ce précipice comme à chaque fois que mon corps touche ces draps et cet oreiller, comme quand je n'ai que moi à qui parler, comme quand je réalise que l'eau qui me couvre ne provient pas uniquement de mon imagination, qu'elle est avec de la malchance le fruit immédiat de ma réalité.
Qu'est-ce qui me brise ? Qu'est-ce qui veut la mort de ma personne ?

Le pouvoir et le vouloir ont bien ce sens amer d'être différents aussi bien qu'ils ne puissent se passer l'un de l'autre. Être capable et ne pas en vouloir; vouloir sans pour autant être capable. Voilà la représentation opposante de chaque parcelle de mon cerveau en guerre. Mais c'est aussi ce qui tourne autour de ma misérable vie. On rencontre des gens, on en perd, on en trouve d'autres. On vous a, on vous perd, on trouve quelqu'un d'autre. C'est la théorie qui me ronge, m'envahit comme une grande vague, moi, un grain de sable qui se fait submerger et bousculer.
Avant de détacher ma nuque de ce bourrelet d'éponges combien d'heures sont passées ? je suis allongé sur ce matelas depuis quand ? Pourquoi je ne me réveille pas pour reprendre les choses en main ?
Les réponses sont généralement plus hostiles que les questions. Fort souvent, les réponses sont peut-être, pour la plus grande ironie, des questions à se poser. Alors, j'en veux bien, mais suis-je capable ? Non, en fait je peux. Est-ce bien ce que je veux ?

À partir de ce cercle infernal et interminable, l'évidence nous prend à contre courant, on s'imagine le pire, on s'étouffe avec chaque mot sanglant qui donne naissance à des retombées lourdes à la gorge, ensuite nos pieds ne touchent plus le sol car aussi mal qu'on résiste à l'inévitable on essaie de s'évader par des moyens inutiles, alors on enchaîne avec les SOS, on survie, on crie à l'aide au beau milieu de nul part pourtant rempli, jusqu'à ce qu'on ne respire plus, jusqu'à ce qu'on se retrouve dans les vapes.

— He... Reveille-toi.
  La lampe est encore allumée à la tête du lit, mais je peux voir le haut de la chambre même après l'avoir éteinte. Il fait jour, ce qui explique que dehors il y a un vrai soleil qui m'attend, une vraie vague à surmonter, à la différence, une vague d'émotions, de désespoir, de tristesse et d'amour.
— Bonjour monsieur l'endormeur...
Un visage familier qui m'apprivoise. Des lèvres charnues qui m'embrassent, un odeur de parfum qui m'enlace et une main ferme qui m'attire.
— Bonjour mon soleil...
Je m'enlève le poids lassant de mon corps du fond du lit, le sien m'accueille charnellement.
— Je voulais commander mais je n'en savais pas trop, et comme tu es réveillé...
  Deux bras qui m'encerclent le cou, un regard brun qui me détaille, c'est en quelque sorte ce à quoi ma vie est accrochée.
— C'est bon, je vais prendre ma douche ensuite nous descendons prendre un café.
— Ok. Je t'attends.

  L'eau ne cesse de couler, chaude, peu importe la forme, de mes yeux à travers mes joues ou sur mon torse en provenance du robinet, dans ma tête durant mes cauchemars ou dans ma réalité entre les lignes de ma vie. La surface patiente encore à ce que je la retrouve. Mais les réponses veulent toujours des réponses.
— Tu es prête ? Allons-y.
  Je lui prends la main. L'ascenseur nous ouvre ses portails. Comme par hasard, le silence de ces petites cabines me fait vivre le sourd de l'océan.
— Tu sais, en te regardant dormir ce matin, j'ai eu comme impression que je ne te mérite pas, je ne sais même pas ce que je devais commander avant ton réveil en guise de petit déjeuner.
  Ce sont ces mots coincés au fond de la gorge qui nous activent la peur et nous donnent la certitude d'être impuissant, incapable, assez fébrile pour s'incruster la noyade.
— Nous ne sommes pas mariés, chérie, alors ne t'inquiètes pas. Tu as bien fait, je ne pense pas que je pourrais manger. Je veux juste du café.
  Nous arrivons les pieds sur terre au restaurant de l'hôtel. Je la recule une chaise, et par la suite je m'installe.
— Tu choisis ?
— La même chose que toi.
  Est-ce un suicide de se laisser emporter par la mort après de vaines tentatives de survie face à une situation dans laquelle on vous a mis ?
En tout cas « no to suicidal » est bel et bien inscrit sur la coupe prête à déverser qu'on vient de nous livrer.
— Viens, sortons. Nous pourrons marcher tout en buvant. Je me sens dans le besoin de te parler de moi un peu plus.

Confidence (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant