Je marque un pas et elle me crie dessus.
— Ne m'approche pas ! Donne ton fichu téléphone qu'on en finisse avec toute cette mascarade !
— Bébé... calme-toi.
— Ne m' demande pas de me calmer ! Sais-tu c' qu'une femme peut ressentir lorsqu'elle se fait rejeter au beau milieu d'une partie d' plaisir ? Le sais-tu ? bon sang !
Je ne comprends rien à rien. Je me noie, mon niveau de réflexion régresse à mesure qu'elle s'emballe et qu'elle hausse le ton.
— Alors c'est ça, c'est le sexe qui te met dans cet état ?
Merde.
J'ai sorti la mauvaise phrase. Je le sais.
Guidé par le calme, je gache la possibilité d'être quand même embrassé par sa compréhension. Il ne fallait que ses mots mal conçus pour raviver la flamme. Une flamme sans fin.
— Putain je me fous du sexe ! Je me fous de la gravité de tes actes ainsi que les conséquences qui peuvent s'en suivre, je veux que tu cesses de me faire passer pour une conne.
Un long silence s'empare de l'atmosphère. Pour la première fois, je réalise à quoi cette situation pourrait vraiment nous amener.
Ou m'amener, moi.Je parle souvent du pire, parce qu'il demeure jusque-là cette alternative qui s'accroît visiblement parmi mes innombrables algorithmes quelques fois insensés, mais je n'ai jamais eu le courage de l'envisager concrètement, de lui faire face, essayant d'imaginer ma vie et mes sentiments dans ce maudit abîme.
Pendant que j'y pense, le regret est extrêmement plus cancéreux que ce que ma vision des choses m'a proposé durant ces dix dernières années. C'est un sentiment de culpabilité qui nous demande sempiternellement de réparer nos torts ou à vivre dans le tourment. Un enfer sur terre.
— S'il te plaît. Finissons-en.
Les phalanges posées sur la tempe, elle suffoque, éclaboussée, prête à exploser. Notre relation vire en un vrai cauchemar. J'ai la gorge désertée, la peur dans le ventre de perdre la partie qui me complémente depuis des mois, cette même partie qui a été faite de mensonges et de pures moqueries.Vingt heures piles.
C'est la énième fois que l'écran s'allume et que ce portable vibre, serré contre ma main. C'est à peine si je le sens.
— Même si je te le donne rien ne sera fini. Ce sera même le début.
— Le début de quoi ? Alors commençons par le commencement, comporte-toi comme un homme !
La faiblesse me hante, l'impuissance de tenir tête, la perte des mots, tout joue contre-moi. Je me demande en quoi cette nuit transformera ma vie lorsque demain je me réveillerai. Aurai-je cette étincelle de survie, à vouloir sortir du lit ? Serai-je emporté vers l'au-delà tout en étant endormi ?
J'ai beau mené des gens en bateau, mais cet instinct dramatique me rappelle à chaque fois que je suis le capitaine incontesté.
— Tiens, prends-le.
Elle s'accapare du téléphone et scrute tout ce qui s'affiche à l'écran pendant environ deux minutes.
Je me tais. Soudain, je me souviens du récipient à café composé de cette pub. No to suicidal. C'est comme se lancer dans la gueule du loup. Se passer la corde autour du cou. Chercher sa mort. Certains parlent de délivrance, d'autres octroient le feu vert à la condamnation. Personnellement, la mort n'est jamais une option. Il faut continuer à vivre et espérer au lieu de se faire du mal afin d'être soulagé temporairement. Sinon cela va vous briser, vous tuer et brûler votre âme à petit feu jusqu'à ce qu'on arrive au plus maladif des mots, le Regret.
— Mon amour ? Dit-elle en voyant le contact mentionné.
— Écoute Abby...
— Dis-moi qu' ce n'est pas vrai. Parle-moi, tu as une amante, c'est ça ? Tu me trompes ?
Comment regarder la personne que vous aimez et répondre à cette question en disant la plus simple des vérités ?
Il n'était plus le temps de faire marche arrière.
Je ravale ma salive, ce grand requin est bien là devant moi. Sous une autre forme, mais réel.
— Non, je ne te trompe pas.
Ma réponse est froide. Je dis vrai. Mais le cours de cette descente dans ce bargne ardent désapprouve toute sorte de simplicité qui aurait fait de moi un survivant.
— Putain mais arrête de mentir ! Ça ne sert plus à rien de fuir tes secrets.
La vérité qui me décapite la conscience persévère.
Elle inspire fort et relâche sa respiration comme pour me dire : Je suis prête, vas-y, achève-moi.
— Je te dis la vérité. Je ne te trompe pas. C'est plutôt mon épouse que je trompe en étant ici avec toi, dans cet hôtel.
C'est ce qu'on appelle tirer à bout portant.
Elle reçoit ce choc comme un sévère coup de foudre entre amour et considération, fidélité et sincérité, secret et confidence.
En outre, pour elle, cette robe satinée qu'elle porte n'est autre qu'une atteinte à la pudeur. Ses mains cachent son teint dégradant, elle renifle, cherchant une plus grande couverture.
C'est à ce moment précis que mes yeux s'ouvrent sur les petits rayons de soleil qui illuminent l'océan dans lequel je me trouve. Je commence à y voir clair, à comprendre que ma vie vient de connaître entre deux secondes un total chamboulement.
— On ferait mieux d'aller se coucher.
Je n'aurais jamais dû lui cacher une chose pareille, mais je savais qu'elle n'aurait jamais accepté de vivre avec ce fardeau quelle que soit la grandeur de ses sentiments.
— Bonne nuit.
Elle est passée de la femme fulminante à celle qui désiste littéralement à sa tentative de suicide passionnel, s'accommodant les paroles poignantes que je viens de lui balancer en plein cœur.
— Tu es marié depuis quand ?
Couchée à plat ventre, la face tournée vers la lampe de chevet, sa voix est à peine audible, enrouée, mais malgré tout, elle ne freine pas sa curiosité à connaître ce que cache la réalité virtuelle que je lui offrais tous les jours. C'est si douloureux.
Je me questionne sur ses impressions, cette force qui l'incite à prononcer ces mots sulfureux.
— Un an et demi. Qu'est-ce que cela va changer ?
— Pourquoi as-tu choisi d' m'approcher alors ?
Elle évite la question et s'obstine à suivre le fil de ses pensées accablées.
— Parce-que heu... parce que je t'aime.
— C'est pour cette même raison que tu n'as pas choisi le divorce, non ?
Ça y est. La boucle est bouclée. Je n'ai que ma conscience et ma vérité. Mais comme on dit, la défense est un droit sacré.