L'inévitable

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— Je demande le divorce.
Non, la terre n'a pas arrêté de tourner. Pourtant, j'ai bien l'impression d'être tétraplégique. Je regarde ma femme privée de toute quiétude, qui continue à se laisser submerger par cette rivière de duperies que j'ai provoquée, tout proche de l'abîme, au beau milieu de ce bafond immonde dans lequel je me replie.
— Mais...
En fin de compte, dès le départ je me suis perdu. J'ai noyé pleinement le for intérieur de beaucoup de gens dans le mien. Je les ai pressurés. Je les ai blessés et trahis de la plus impétueuse des manières. Je ne suis qu'un démon, cherchant à les entraîner dans ma descente aux enfers, et je le prouve à présent. Plus aucune échappatoire.
— J'ai passé plus de trois mois à supporter cette blessure, Je t'ai laissé le temps de te rattraper, mais fallait que tu rajoutes une lune de miel, putain !
Me mentirais-je à moi-même de dire que mon cœur vit un scénario désastreux ? Pourquoi je m'inquièterais si tout ce qu'elle dit soit de la pure vérité ?
— À chaque fois tu me sortais cette excuse à la con, tu disais que t'étais trop pris au boulot en me laissant seule ici. Et moi, j'ai continué à te répéter la même phrase, que tu me manques avidement, j'ai continué à être le dindon de la farce pendant tout ce temps avec l'espoir que tout redeviendrait comme avant. Mais c'est de pire en pire.
Elle est horripilée, et ses sentiments s'exaspèrent. Je la laisse s'exprimer. J'ai même comparé sa situation à lorsque j'ai vomi mes tripes sur la céramique la nuit précédente. J'ai vu l'effet et je connais parfaitement cette sensation qu'elle éprouve de se vider. Mais elle, c'est de son cœur qu'elle se vide. Ce que moi je n'ai pas réussi à faire durant notre un an et demi de mariage.
— Et tu sais quoi, hier j'ai eu cette idée folle de te mettre à la porte mais je me suis trompée, car c'est plutôt à moi de partir. Je n'ai plus ma place dans cette maison.
Elle s'efface prestement.
Inutile de lui courir après et de savoir qu'elle est partie faire ses valises ou qu'elle les a déjà même mises dans un taxi. Cette demeure formée de briques et de roches blanches perd immédiatement sa splendeur, Kym est cette pierre précieuse qui couronne le tout, qui fait de cet espace luxueux la merveille moderne qu'elle est, et je m'en veux considérablement.

Déjà un quart d'heure depuis que mon omelette se mette à refroidir, tout comme ma conscience. Je suis resté accoter contre la table, le visage entre mes mains creuses et flageolantes.
— Kym ne part pas, je t'en prie...
Elle a les rétines enflammées. Je pense au jour où je lui ai ôté cette voile pour découvrir par la suite une féerie radieuse sur son visage allongé et ses lèvres fines. C'est dingue, je vais idolâtrer nos photos de mariage comme des putains de dieux. En fait, c'est tout ce que je possède de bon. C'est tout ce qu'il me reste.
— À plus Carter. Je ferai appel à un avocat en ce qui concerne les procédures de divorce.
C'est amer. Elle file dans un taxi et me plante devant le sublime décor qui vient d'être maudit par son départ.
— Bordel de merde !
Je bute sur un pot en crystal qui subit abruptement la disgrâce de ma colère par un coup sec du plat du pied, si fort que ce beau meuble explose en mille morceaux contre le mur.
— Merde ! Et merde !
Je rentre et traverse le salon jusqu'au minibar.
Et si j'essayais une autre bouteille ?
Serait-il trop tôt pour boire de la vodka ? Moi je m'en fiche.
Je vise à peine une coupe transparente quand mon portable vibre au fond de ma poche. Tout ce qui me monte à l'esprit c'est de le faire connaître le même sors que ce pot en crystal il y a deux minutes. Mais c'est plus fort que moi.
Plus fort ?
— Allo
Je décroche sans regarder qui est-ce.
— Monsieur le D.G excusez-moi de vous avoir dérangé mais...
Je suis plus qu'énervé en entendant la voix de ce ringard sortir de l'appareil.
— Putain Andrew ! Tu vas arrêter de me casser les couilles, non ?
— Mais relaxe, relaxe. Qu'est-ce qui ne va pas chez-toi mec ? Ton séjour t'a apparemment grillé les nerfs. Elle t'a mangé dans la main, c'est ça ? Oh non ! J'en étais sûr! Vas-y raconte.
Je continue ma quête et déverse du vodka dans mon verre.
— 'Y a rien à raconter. C'est à toi de me dire ce que tu me veux.
— Mais tu me l'avais promis ! T'es un vrai rabat-joie, toi. Bref, je voulais juste t'informer que tu es attendu demain à Globtech pour ta nomination, genre officielle quoi...
Deux gorgées. Je ne sens presque rien couler. Comme si c'était deux gouttes d'eau. J'en rajoute et continue la conversation.
— C'est bon je serai là.
— C'est à dix heures. Place au champagne ! On se reparlera hein ! Je dois tout savoir sur la Belgique.
Il rit de ses propos ennuyeux alors que moi j'emmène un troisième verre à ma poitrine.
— Vas-y, à demain.

Neuf heures quinze.
Ce nom s'affiche à l'écran, sous mes pouces. Ce contact que j'ai envie d'appeler me torture et je ne comprends même pas pourquoi je suis obsédé à le joindre. On aurait dit que cela fait déjà des mois.
Je me concentre en prenant congé de ma boisson. Je patiente. Mon cœur bat la chamade. Finalement j'appuie.
— Bonjour, vous êtes sur la messagerie de Abby, s'il vous plaît laissez un message.
Cette voix synthétique me retourne à chaque fois que j'essaye et réessaye pendant au moins cinq fois.
En vrai, tout ce merdier me dévalise, j'ai presque tout perdu, même mon appétit vient s'ajouter à la liste.
Je m'enivre, picolant encore et encore, jusqu'à la tombée de la nuit.

********
C'est le grand jour. Je me réveille avec un insupportable mal de crâne. Je m'assoie, avale quelques cachets et prie pour que cette journée me sauve pour une fois de ce fiasco. J'appelle Théo et arrive en moins d'une sous mon costume bleu sombre dans les locaux de Globtech. Paniqué, ce moment n'a plus le même sens à mes yeux, il a perdu tout son charme. J'aurais aimé qu'elle soit là pour me soutenir et qu'elle soit fière de son homme.
Elle ?
Peut-être, elles.
— Bonjour ! Carter ! Félicitations mon cher ami. Avec vous l'entreprise sera propulsée jusqu'au sommet.
Un homme dont je me souviens à peine me flatte, et tant d'autres l'ont suivi dans son geste.
— Merci à vous. — Merci à vous Monsieur. — Merci à vous madame.
Je suis pris d'embarras avant que je revois Andrew et adresse quelques mots aux employés et à d'autres directeurs d'entreprises qui sont présents.
Je ne sais pas par où commencer mais je dois être moi dans toute ma simplicité. Je reste calme, malgré calibré par le regard de tous.
Tout le monde attend mes dires. Je suis là, derrière ce micro, à chercher mes mots, à observer la salle toute entière.
— Bonjour, je suis très heureux d'être avec vous ce matin pour vous...
C'est ma première phrase avant que je m'arrête sur ce beau monde devant moi. Non, sur ce visage fastueux qui s'illumine parmi tous ces gens.
Putain ! Elle est là !

Confidence (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant