Le sable mouvant

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Abby

— Finalement, madame est debout.
Le soleil m'empêche de rouvrir l'œil.
Quelques efforts de plus et j'aperçois la salle à manger, si propre. Je me répète souvent qu'il n'y pas meilleure coloc. qu'Emilie, cela aurait ressemblé à un vrai espace à déchet, seule ici.
— Bonjour, dis-je.
Elle porte un tablier, ses cheveux noirs et courts enfouis dans un filet rose.
— Bonjour, je t'ai préparé du pain grillé au beurre et ses trucs que tu aimes...
J'adore quand elle me fait à manger. Mais ses delices ne sont pas ceux dont j'ai le plus besoin. Je dois absolument prendre une douche.
— Quelle heure il est ? Je devrais plutôt regagner la salle de bain.
J'anticipe un bâillement et touche à mes cheveux en désordres.
— Oh tu pues la merde !
Elle me taquine et regarde mon crâne délabré.
— C'est le déboisement sur ta tête là ? Insiste-t elle.
— Petite vermine! laisse-moi tranquille et viens m' raconter comment c'était avec ton rencard de pute...
Je lui envoie un morceau de oignon trouvé sur la table.
— Toi d'abord petite menteuse, j'en suis presque sure que tu t'es retapée un cinq étoiles.
— J' t'emmerde !
Et c'était la guerre.
Je cherche à savoir si son rendez-vous avec un certain Jason s'est bien passé alors qu'elle me tape sur les nerfs en insinuant que mon voyage d'affaires n'était autre que de la baise.
— C'est ça, va te doucher !
On rit ensemble nos ridicules échanges.
Notre amitié date de si longtemps qu'on aurait dit ma sœur biologique.
— Tu m'as manqué petite peste!
— Toi aussi ma merde
— T'as dit quoi ?
Je fonce sur elle les bras en l'air.
— Merde ! Au secours !

On se prend la tête comme des fillettes de dix ans. Elle est si agréable et si gentille.
Parfois conne, mais gentille.
Je reviens de la douche toute trempée et soulagée. Je refais ma coiffure et constate que j'ai un téléphone. Oh non!
Trois appels manqués de monsieur Stedman et deux de Nick. Mais j'ai un faim de loup, je préfère manger, sinon je n'aurai pas la force pour parler des détails avec Stedman. De l'autre côté, Nick semble avoir mordu à l'ameçon. Je dois absolument lui parler.

Je m'en doutais, ma bouche est aux cieux et mon ventre en demande, encore. Sans elle je mourrais de faim.
— Oh que c'est bon !
Emilie enfile un chemisier violet. Elle est de bonne humeur. Plus que d'habitude. Je doute fort que ce Jason ne lui aie pas formaté le cerveau.
C'est de ça dont j'ai peur, qu'elle vit les mêmes choses que moi, car la connaissant, elle ne sortira pas vivante. Mais il vaudrait mieux ne pas lui gâcher sa journée.
— Dis, abby, c'est ce qui est sorti de ta bouche quand il l'a mise ?
— Dégage !

— Allo ?
— Nick à l'appareil
Sa voix rauque se distingue du milieu ambiant, l'air charmeur.
— Arrête ton cinéma, tu veux bien ?
— Je suppose que je suis la dernière personne à qui tu te donnes la peine de rappeler.
J'entends beaucoup de bruit à l'autre bout du fil.
— J'ai plus important à faire, crois moi. Et estime-toi chanceux. T'es où ?
— Au centre commercial. Ce matin je t'ai téléphoné. Deux fois. Tu n'as pas décroché. Il était avec toi ? Tu t'es remis avec lui ?
Je dépose la vaisselle dans l'évier et me case au fond du vieux canapé de la pièce.
— Suis-je toujours ton parfait cousin ? Il s'appelle comment déjà, Carter ? C'est bien ça ?
— Qu'est-ce qui t' prend ? Je t'appelle pour mettre les choses au clair, pour que tu arrêtes de m'appeler, et pour que tu arrêtes de te faire des idées. Il n'y aura jamais rien entre nous; ni aujourd'hui ni après. Soit tu arrêtes, soit je ne t'adresse plus la parole.
C'est la seule chose que j'ai fait à Carter, et malgré tout, ce fut le fruit d'une affreuse colère en découvrant qu'il se foutait de moi. Je ne m'en veux pas de lui avoir menti, que Nick n'est pas mon cousin comme je l'ai prétendu. Mais cela me garde en vie de ne pas lui ressembler, je n'ai pas osé lui faire un coup pareil. Je ne lui ai jamais trompé. Mon cœur ne me l'a pas permis. Maintenant, je sais que je suis dans l'obligation de ne pas laisser ce mensonge se transfomer en une absurde vérité.
— Très bien. Sache que je serai toujours là si t'as besoin.
— Merci de comprendre. Bye.
Je raccroche promptement.
Le con. Il vient de toucher à mon armure. Il a cité son nom. Je ne veux plus entendre parler de cet homme. Plus jamais !

Carter

Les négociations débutent. Je m'efforce de ne pas montrer mon intention de vouloir m'emparer de sa mine d'or.
J'achète pas sa construction, je veux juste donner mon aide afin que la situation ne lui oblige pas à tout recommencer à zéro. En vrai, j'ai beaucoup d'admiration pour son travail. C'est un génie dont le visage ne m'était pas familier et qui connaît une dure période que moi seul est prêt à embrasser.
— Merci à vous.
Ce dernier termine son cigare et se voit obligé de planifier au plus vite une nouvelle rencontre, question de faire patienter et de réfléchir un peu. Ce que j'ai absolument accepté. Un rendez-vous qui se tiendra à Globtech afin d'assurer un accord concret.
— C'est à moi de vous remercier.
Je quitte le bâtiment quelques minutes après et prends direction de mon bureau.
*****
Travailler m'apporte de l'énergie. On m'a toujours dit que je suis doué, même très doué, et que j'aime vraiment ce que je fais. Après tant d'années, bizarrement, c'est enfin en ce jour que je le réalise. Je me demande donc pourquoi. En fait, tout m'échappe.

Deux jours de plus et je n'y crois toujours pas. Je refuse d'admettre que le cours des choses s'est repris en me laissant d'atroces souvenirs, si imparables. Je suis plus que perturbé de confronter minutes après minutes les séquelles de mes propres bêtises. Je m'y fais avec mais ça n'allège rien. C'est comme si elle est ce médicament qui va solutionner mes maux. Je ne pense qu'à l'entendre où la revoir juste pour quelques secondes, je ne me plaindrais pas. Je ne l'imagine pas dans le bras d'un autre homme. Je tuerais pour elle. Je ferais tout pour que je sois le seul à qui elle appartient. Si seulement...
— C'est quoi cette tête ?
Toujours là pour me couper de mon monde, Andrew m'accompagne jusqu'à mon siège.
— On a du boulot, Rich veut régler certains détails. Il faut bien analyser sa démarche et refaire une lecture de ses chiffres d'affaires.
— Bien. Je te remettrai un rapport. Alors c'est ça qui te fatigue ?
Il me connaît, ça je ne le nie pas. Mais il serait le dernier à qui je demanderais conseil.
Je secoue la tête et enlève ma veste. Mais ce dernier insiste.
— Raconte. Tu m'as tout dit à propos de ton voyage et de ton divorce, je ne me plains pas. Mais là, j'ai vraiment envie de savoir si ta sale tête n'est pas liée avec tout ça.
J'explose. Je ne sais pas pourquoi.
— Mais bordel ! Comment veux tu que je sois bien dans ma tête tant que celle que j'aime est dans la nature, loin de moi ? Je ne sais même pas comment la retrouver !
J'ai perdu les pédales face à Andrew.
Ça y est, je l'aime vraiment cette femme.
— Mais c'était ta femme, il suffit que tu passes chez sa mère.
— Putain ! Je te parle d'Abby merde ! Cette femme avec qui j'ai séjournée en Belgique, tu le sais ça ! Elle n'utilise plus le même numéro.
Je sors une bouteille bien cachée au fond du tiroir de mon bureau.
— Vas-y, ferme la porte.
Surpris de ma réplique foudroyante, Andrew garde ses mots et verrouille la serrure.
— Tu l'as depuis quand, ce whisky ?
— Depuis que je suis installé ici. Je l'ai conservé au cas ou. Je savais que je finirais par sombrer si je ne la retrouve pas.
— Dis donc, tu n' tiens vraiment pas l' coup. Il est déjà sorti de sa cachette.
— Ouais.
Je me sers un petit verre. Andrew m'imite et laisse planer sa curiosité.
— Alors comme ça elle t'a rendu fou d'elle en seulement deux semaines ? Elle habite où ?
— Je ne sais pas. C'est elle qui venait me rejoindre à chaque fois. Elle a sûrement dû déménager. Il faut que je la retrouve. Tu dois m'aider.

Confidence (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant