Sans détour

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C'est comme enfoncer les talons dans le sable mouvant, nous marchons côte à côte avec chacun ce gobelet non-suicidaire bourré de caféine, les jambes deviennent des boites de plombs, et les mots deviennent l'itinéraire de notre enchantement. Si la volonté n'évoque pas la capacité, c'est bien cette partie de moi qui attaque mon monde extérieur, et c'est peut-être elle aussi qui m'escorte vers ma plus grande chute à ne plus pouvoir m'en sortir. Je repense à la précédente nuit où mon dessin de ce lit à deux places était transformé en celui de la chambre numéro cinquante sept d'un hôtel cinq étoiles, il n'y avait pas de soleil jaune qui m'attend à la surface, ni de mer qui me loge. Dans l'ordre, c'était juste une lampe de nuit et moi, à côté de cette femme, pleurant la déception de mon épouse quand elle saura qu'elle est à côté de la plaque.
Et si c'était cette femme ci-contre que je trompe depuis trois mois ? Et si c'était ça le fait de perdre les pédales et de sombrer sans gilet de sauvetage ?
— C'est de la stupidité cette démarche.
  Réelle est la route en béton dont nous arpentons. Elle me sauve des ténèbres de mon esprit.
— Quoi ? Tu n'as pas voulu sortir du restaurant ?
— Non. Je te parle de ce qui est écrit sur ton pot de café noir.
  Elle l'a aussi lu. No to suicidal.
Je sais bien que lorsqu'on s'abstient d'être nous-mêmes ça nous pousse au bord de l'extase. La folie est une maladie discutablement transmissible, et elle risque d'être exposée à toutes les merdes que je traine avec moi.
— Oui j'ai fait la remarque tout à l'heure.
  Un pas de plus et le chemin s'allonge d'un kilomètre, on ne sait plus quand ni où cela a commencé à empiéter sur le fil qui tient notre présent. En fait, là maintenant, je ne sais plus comment en finir.
— Je t'écoute, il me semble que j'ai raté plein de trucs à propos de ta vie.
— Et si on parle d'abord de la nuit que nous venions de passer ?
  C'est ce qui s'appelle une mer agitée, qui commence à secouer dès la venue d'une forte tempête, sous un ciel gris, en l'absence de cette lumière jaune qui nous montre à quoi ressemble l'autre bout de la terre.
— J'ai adoré. La manière dont tu me caresses, la douceur de tes paumes, aussi, la rage qui t'enflamme à me baiser rudement.
— Et cela te va, tout ça ?
  Les réponses. Elles ont des réponses qui ont, elles, des réponses, et ces dernières en ont d'autres, ainsi de suite. Mais l'enchaînement s'achève toujours par la vérité.
— Non. Tant que tu auras des secrets.
  Nous sommes déjà à deux pâtés de maisons. Ma coupe est à moitié vide et je suis toujours pas sorti de l'eau.
La peur peut être ce que nous ignorons, et ce que nous ignorons peut être notre plus grande force, la logique est simple parmi une infinité de détails qui nous pourrissent l'existence. Quelques fois on place notre responsabilité au bas de la liste, et le dernier choix est toujours d'affronter notre peur, pourtant quand on y pense, ça a toujours été l'inverse.
— Tu m'aimeras même après ça ?
— Je t'aime et je me suis mise avec toi tout en sachant l'existence de tes secrets. Tu n' t'es jamais demandé pourquoi ?
— Je l'ignore.
  Notre course s'arrête un instant. Elle me dévisage et place mon oreille à l'angle de son pouce et index.
— C'est parce-que je m'attends au pire, et le pire n'enlèvera pas ce que je porte en moi, ni ce moment qu'on passe à l'hôtel.
  J'y pense encore. Peut-être pas de la même façon que ses hormones lui décrivent les sensations, tout ce qui me monte à l'esprit est cette douleur que je m'inflige ses derniers temps en l'infligeant aussi à quelqu'un d'autre. Une immense blessure. Cicatrisante.
— Je sais à quel point tout peut te paraître assez simple, mais ça s'avère être plus compliqué. Il y a une année lumière qui sépare le dire et le faire.
  Je bois à mon toste. La dernière gorgée. Ce flot de liquide chaleureux s'empare de ma gorge, là où les mots s'entassent lorsqu'ils parviennent enfin à se délibérer du filet de mon âme.
— Tu sais quoi, dis-je. Je préfère les garder encore quelques jours.
   Le nez vers l'asphalte, la bouche pleine, ses rétines concurrencent les miennes jusqu'à en perdre ses dires. Je me sens gêné, je ressens le vide que je ne sortirai plus de ses eaux profondes.
— Maintenant retournons à l'hôtel, s'il te plaît.
  La paranoïa. Voilà comment on décrit le sentiment de celui qui se fait rattraper par ses erreurs. Ce n'est plus une question de descente ou de noyade, je suis dedans, et c'est le risque d'être sauvé.
— Il faut qu'on en profite, chéri, demain sera notre dernier jour.
  Ça a tout autre sens dans ma tête. Dernier jour. Un compte à rebours ? Je refuse de croire en une fin malheureuse. Autant qu'on crée ses genres de moments, autant que cela nous coûte cher.
— Dernier jour ? Dis-je.
— Tu vois ? Tu as les idées ailleurs, on doit absolument faire un saut dans la piscine. Dernier jour à l'hôtel. J'ai déjà réservé nos billets d'avion.
— Excuse-moi.

  Ce n'est plus l'eau sous la douche, ce ne sont pas mes larmes qui m'emplissent, ce ne sont plus mes rêveries bizarres sur cette lampe. Ce sont ses douces mains qui parcourent mon échine, sa bouche et son souffle qui flirtent avec mon cou, son ventre cloué au mien, et ses cuisses glissantes autour de ma taille.
— J'ai envie de toi.
  Elle murmure cette phrase comme-ci elle s'en foutait du reste.
— Mais... il y a du monde par ici.
— Alors débrouille-toi et trouve une position discrète. Je te veux ici, vas-y.
  Je gagne le rebord de la piscine, là où les  quelques-uns assis se trouvent dans mon dos. Avec moi, planté derrière elle, son bikini
n'enlève aucune intimité. L'habitude nous facilite beaucoup de choses, l'expérience, la pratique, ce sont des trucs qui développent la créativité, et à l'instant, je me sens plus créatif que jamais, je ne pense plus à la chute,  juste à « l'eau ».
Elle soulève son bassin, je m'occupe du bout des doigts de la corde colorée qui cache l'orée de ses fesses. Pas une seconde, elle accueille la longueur de mon organe dur et ferme hors de mon short, au plus lointain de son entre-jambe brûlant et tendre.

Confidence (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant