Manipulateurs I - Le Lion sans Couronne

CHAPITRE 11 : Saren

« Arkhen'Rörh est l'unique divinité de la religion monothéiste des îles septentrionales du royaume d'Erhu'Akar. Elle est représentée sous la forme d'un immense dragon au Pouvoir sombre et pernicieux. Les rois Sélonara ont interdit ce culte sanguinaire, cruel et diabolique, mais ce dernier continue à être pratiqué par certaines familles, notamment les Arkheren d'Urûk'Arn. »

Journal de bord de l'érudit Alec Caelienus, membre du 4ème Cercle des Sages.

Les ténèbres et le blizzard régnaient dans la forêt, si bien que l'on ne distinguait rien à plus de dix mètres. Saren se battait entre les bourrasques et essayait de se repérer dans la tempête. Sa main droite occupée à tenir fermement sa capuche sur le haut de son visage, la gauche affairée à tenir les rênes de sa monture, il progressait cahin-caha entre les troncs des arbres. Il pensait que chevaucher sous la canopée l'aiderait, mais la neige s'engouffrait partout.

Le Manipulateur avait pourtant l'habitude de ce climat rigoureux. Il avait grandi à Erdan, l'autre région du nord réputée pour son froid hivernal long et glacial. Saren se souvenait des longues promenades dans les champs enneigés avec ses frères et sœurs, à traquer les lapins sous la neige ou entre les congères. Il se rappelait les bonhommes blancs qu'ils fabriquaient tous ensemble, en riant de bon cœur et en salivant à l'idée de rentrer au chaud dans leur chaumière pour se délecter du jus de pomme à la cannelle que préparait leur mère. Saren adorait cette épice. Il savait que désormais, elle était principalement cultivée sur les terres de l'Empire Pourpre.

Une rafale de vent glaciale ramena brutalement Saren au présent. Il s'engonça dans son doublet et dans sa cape doublée de laine. Noire, longue, avec une peau de bête sur les épaules, elle couvrait tout son corps, ainsi que celui de son destrier.

La neige tomba drue, formant un épais rideau blanc sur le paysage. Les flocons se déposèrent sur les cheveux corbeaux de Saren, le couvrant d'une pellicule immaculée. Il ralentit encore l'allure, ne distinguant rien à plus de dix pas devant lui. Le vent lui fouetta le visage avec vigueur. Il se pencha sur sa monture pour tenter d'échapper à la froide morsure de la bise. Sa cape claquait et se soulevait à chaque bourrasque. Les lames d'air glaciales s'engouffraient sous ses vêtements, le transperçant comme des rasoirs. Saren serra les dents et grelotta, faible face aux éléments qui se déchaînaient. Même s'il était originaire du nord, le voyageur ne demeurait pas insensible face aux basses températures, surtout lorsqu'elles dégringolaient chaque nuit.

« Nous ne progressons plus, pensa Saren à l'égard de son Spectre. Le plus judicieux serait d'emprunter la route jusqu'à Néran. Les patrouilles impériales sont-elles encore là, Golem ? »

« Non, je ne sens plus leur présence depuis deux bonnes heures. Dirige-toi vers le nord-ouest. La route qui longe la mer t'attend. »

Pour se repérer, Saren s'ouvrit au Pouvoir. Le passage d'animaux et d'être humains laissait des traces dans la dimension parallèle à laquelle il accédait quand il laissait son esprit dériver. De minces filaments de lumière s'étiraient dans une brume obscure. Il n'avait besoin que de cela pour reconnaître l'allure d'un cheval.

Et se diriger dans la bonne direction.

Une heure plus tard, Saren retrouva enfin la route. Et le sourire, même si celui-ci fut de courte durée.

La route longeait effectivement la mer, surplombant une falaise de grès et de calcaire d'une hauteur de trois cents mètres. Mais le vent forcit, devenant un fardeau pour le voyageur. Pour s'en protéger, Saren se dirigea vers la frondaison. Il slaloma entre les arbres du mieux qu'il put. Autant que l'épaisseur de la neige le lui permettait. Et sans perdre de vue la route durement retrouvée.