CHAPITRE 14 : Aomor

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« Traverser le bras de mer qui relie le nord d'Erhu'Akar vers le continent d'Haroth peut s'avérer très compliqué. Mille dangers vous guettent : les tourbillons imprévisibles, les iceberg, les hauts-fonds et les animaux marins méconnus peuvent aussi venir se joindre à l'aventure. C'est pourquoi je ne confiais le commandement de mes navires qu'à mon oncle, Servan Beodan. Il était le meilleur capitaine de son temps. »

Extrait des Mémoires du Haut-Roi Aodren Ier Beodan.

Aomor grelottait, engoncé dans son épais manteau de laine. Il avait pris le premier quart de garde, cette nuit-là, et le navire voguait en silence sur une mer d'huile, slalomant entre les iceberg, nombreux dans la région. Ce calme presque parfait angoissait le capitaine, qui n'avait même pas légué le commandement du vaisseau à son second pour la nuit. Il était si inquiet qu'il dérangeait régulièrement Aomor pour savoir s'il ne ressentait rien de pernicieux dans les vibrations du Pouvoir. Le Manipulateur s'exécutait pour obtenir la paix et retourner à la contemplation des étoiles. Il gardait les yeux rivés sur le firmament, dans l'espoir de reconnaître les constellations qu'il connaissait par cœur. Mais avec les nuages qui voilaient régulièrement la voûte céleste, Aomor n'y parvint pas. Résigné, il soupira et baissa la tête.

La main posée sur le pommeau de son épée, Aomor contemplait à présent les flots noirs qui ridaient la surface de la mer sous le miroir diaphane de la lune. La nuit était encore jeune ; ses ombres ne permettaient pas de distinguer les détails des falaises de roche noires, pourtant situées à moins de cinq ou six encablures sur tribord. Le vaisseau longeait le rivage dentelé d'Haroth, glissant dans la noirceur des hautes masses rocheuses qui découpaient le paysage et le rendaient sauvage. Telle était la réputation de ce continent méconnu.

À sa gauche, accroché à un poteau en bois, un étendard claquait dans le vent et se tordait dans les rafales venant du large. Grâce à la lueur émise par une torche toute proche, Aomor parvint à le lire clairement : un phénix rouge sur champ noir.

Le blason de la maison Arkheren.

Aomor analysa longuement ce blason, simple morceau de tissu pour les illettrés du bas peuple, avant de retourner à son observation de la mer. Cet oriflamme, bien que familier, lui procurait toujours une curieuse sensation de malaise.

Une curieuse sensation de ne pas appartenir vraiment à sa famille.

— A quoi peut bien penser un Manipulateur ? demanda alors une voix derrière lui.

Aomor, croyant que le capitaine revenait le déranger, s'apprêtait à répondre sèchement. Mais en se retournant, il constata qu'il s'agissait de Vysemys. Il aurait préféré le capitaine, finalement.

Toujours impeccable et hautain dans son armure d'acier noir sertie de motifs dorés, il arriva sur le pont et se plaça à côté d'Aomor. Il soupira et contempla la mer.

— Je suppose qu'un Arkheren rêve de grandeur. Vous avez été rois, après tout. Cela ne vous agace pas trop, de voir les Sélonara se pavaner sur votre trône avec vos titres et vos terres ?

— La question ne se pose pas. Ce trône ne m'est pas destiné, quoi qu'il arrive.

— Imaginez que votre famille reprenne ses droits sur ce trône. Quelle serait votre réaction ? Devrais-je vous appeler « prince » ?

Aomor tourna la tête vers lui. Il sentait de la tension dans sa voix. Pourquoi Vysemys le détestait-il à ce point ? Ils n'avaient passé que trois jours ensemble.

— Probablement, répondit Aomor. Mais ne t'inquiète pas : ma famille ne dirige pas le royaume.

— Pas encore, marmonna Vysemys.

Manipulateurs I - Le Lion sans CouronneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant