Manipulateurs I - Le Lion sans Couronne

CHAPITRE 18 : Azhura

« Chaque naissance et chaque décès perturbe le Pouvoir. Mais seuls les êtres les plus sensibles au Pouvoir provoquent des vibrations qui se propagent partout autour d'eux, comme des ondes sismiques. C'est le cas de chaque être appelé à devenir un Manipulateur. »

Extrait du tome 1 de l'Encyclopédie du Pouvoir de l'Ordre du Dragon.

L'archipel d'Erhu'Akar, avec ses milliers d'îles et d'îlots, consistait un vaste terrain de recherches. Azhura en avait bien conscience. Comment le prince Daegor comptait-il procéder pour retrouver un mioche perdu ? De plus, un gamin qu'Azhura était seule à avoir déjà vu, à sa naissance. A quoi ressemblait-il, sept ans plus tard ?

Cela faisait plusieurs jours qu'ils chevauchaient vers l'ouest en longeant la côte de l'île d'Emerya. Après une brève escale à Khar, où leurs recherches s'avérèrent vaines, le groupe se dirigeait désormais vers Adeyda, où un Temple des Sœurs de Feu pourrait probablement les aider. C'était ce qu'espérait le prince Daegor. Et Azhura aussi, si cela pouvait permettre à son demi-frère d'être moins bougon.

En voyant son attitude, Azhura regretta que feu le roi son père ait engendré autant de bâtards. Et que celui-ci fut devenu un enfant légitime. Pourquoi lui et pas elle ? A cause de sa couleur de peau, trop foncée pour être pleinement considérée comme un sujet de ce royaume ? Azhura soupçonnait d'appartenir, par sa mère, à la puissante civilisation de l'Empire de Khaas. Une Sœur de Feu d'Emerya venait de là. Enfant, Azhura s'était rapprochée d'elle à une époque où beaucoup de ses condisciples se moquaient d'elle. Avec cette Sœur, elle trouvait chaleur et réconfort. Avec cette Sœur, elle se croyait intouchable. Hélas, quand on lui annonça sa mort au combat, Azhura se sentit plus seule que jamais.

Pour oublier son chagrin, la jeune femme scruta le paysage qui découpait l'horizon. Les volcans cabossaient les alentours, témoins de la forte activité de la région.

Certains cratères émettaient une fumée grise, signe d'une éruption prochaine. Il ne se passait pas un jour sans qu'un cracheur de feu ne soit actif. Les coulées de lave atteignaient souvent la mer. Le groupe en franchit plusieurs. Sèche, la lave redevenait une roche singulière, tantôt noire tantôt plutôt pourpre, qui émettait un bruit léger sous les sabots des chevaux.

Mais cette activité volcanique permettait au royaume de prospérer. Les champs demeuraient fertiles tout au long de l'année et, même si une éruption pouvait détruire une récole entière, les plantes ne mettaient guère de temps à repousser. Les flancs des volcans étaient couverts de vignobles et leur base, plus plane, servait à l'agriculture du blé, du maïs, du tournesol et d'autres plantes qu'Azhura ne connaissaient pas.

Jadis, quand les premiers colons abendöri découvrirent cet archipel, ils s'en servirent aussitôt pour alimenter tout l'Empire en nourriture. Les villes se développèrent rapidement et la maison Arkheren, qui gouvernait l'archipel à l'époque, gagna en puissance et en richesse.

Mais les choses aujourd'hui n'étaient plus les même. Les Arkheren restaient derrière les hauts murs d'Urû'Karn, située dans la caldeira d'un immense volcan éteint, et les Sélonara régnaient sur le royaume depuis la rébellion. Parfois, un seigneur Arkheren tentait de récupérer le pouvoir et de renverser les Sélonara, mais ces derniers tenaient bon. Leur alliance récente avec la maison Beodan aurait dû les aider davantage, mais la folie d'un homme a éradiqué cette noble famille. Pour Azhura, toutes les conditions étaient désormais réunies pour qu'une guerre civile éclate dans le pays.

— Ne traînons pas ! ordonna Daegor. Plus vite nous aurons retrouvé ce gosse, plus tôt nous pourrons retourner à Emerya !

— Nous ne sommes même pas sûrs qu'il soit à Adeyda, grogna Eliwen. Nous ignorons tous de lui ! Azhura l'a vu à la naissance, mais elle serait bien incapable de nous dire à quoi il ressemble, maintenant ! Il avait des cheveux, au moins ?