Manipulateurs I - Le Lion sans Couronne

CHAPITRE 20 : Aomor

« Les terres d'Haroth renferment les pires démons que l'on puisse imaginer. Seul un idiot les sous-estimerait. Même un Manipulateur aguerri se doit d'être constamment sur ses gardes quand il voyage sur ce continent. Mes ancêtres y ont scellé nos ennemis, des Melkarëls dont les méfaits ont été atroces, mais oubliés. »

Extrait des Mémoires du Haut-Roi Aodren Ier Beodan.

Aomor était de garde, cette nuit-là.

Assis sur une chaise sous une tente qui se soulevait au gré des bourrasques, il lisait. Dehors, il entendait le vent hurler. Les rafales montaient depuis la vallée maudite et se déployaient avec force au col, qui offrait un couloir venteux à la tempête. Aomor se focalisait sur sa lecture, pour tenter d'oublier le chaos hivernal qui régnait dehors. Si le printemps n'allait pas tarder à se répandre sur les autres continents, ce n'était pas le cas ici. Les terres d'Haroth ne connaissaient pas l'été.

Eclairé par la bougie qu'il tenait près de lui et qui luttait pour ne pas s'éteindre, le jeune homme étudiait un passage particulièrement intéressant. Avant son départ pour le campement installé ici, il avait pris soin d'emporter avec lui tous les ouvrages et les manuscrits qui parlaient de cette vallée. Il voulait savoir qui avait été scellé ici, pourquoi et surtout, comment.

Le parchemin qu'il lisait parlait d'une guerre qui datait d'avant l'âge d'or de l'Empire d'Abendör, il y a de cela plus de huit-mille ans. Une Faille avait été ouverte dans l'Infra-Monde, ce qui avait libéré les Spectres et les avait rendu incontrôlables. A cette époque, les Manipulateurs n'existaient pas encore et les rares sorciers n'étaient pas assez puissants pour les contenir. Le monde menaçait de sombrer dans le chaos quand deux élus, les Jumeaux Chamans, naquirent. La légende racontait que ces deux enfants furent les premiers Manipulateurs. Nés d'un seigneur d'Abendör et chacun d'une Divine, ils étaient très puissants dans le Pouvoir.

Une terrible guerre éclata alors, et les premiers Melkarëls apparurent.

Le manuscrit affirmait que les premiers Melkarëls étaient scellés ici.

Avec un frisson, Aomor cessa de lire et se redressa. Il glissa ses doigts dans sa toison blanche et se gratta le crâne. Puis, il se servit une coupe d'hydromel, qu'il but d'une traite pour rester éveillé.

Aomor s'étira et se releva. Il se saisit de son épaisse cape en laine doublée de fourrure et la ceignit solidement. Il récupéra sa dague et son épée, qu'il cingla à sa ceinture et, pour finir, enfila ses gants. Ainsi paré, il était prêt à affronter le froid mordant qui régnait ici. Il avait promis à son frère d'effectuer deux tours de garde par nuit, et il tenait à honorer sa parole. Il était le seul à avoir la permission d'Aelion de s'approcher des stèles, car il était le seul à être accompagné par un Spectre. Mais comme c'était la première fois qu'il allait s'en approcher, un sentiment de peur étrange lui nouait l'estomac et la gorge.

Ce ne fut pas serein qu'Aomor sortit de sa tente. Il fut accueilli par une puissante rafale, qui le cloua sur place un instant. Il serra son manteau pour qu'il n'offre pas de prise au vent et s'approcha de l'écurie construite rapidement dans un renfoncement de la montagne, à l'abri de la neige. Les quelques soldats en faction inclinèrent la tête à son passage, mais ne lui parlèrent pas.

Aomor s'approcha de son cheval noir, lui flatta l'encolure et le prépara. Il le sella et lui mit son filet, avant de le sortir de son box. L'équidé renâcla à la première rafale. Il essaya de reculer, mais son cavalier le tenait fermement. Il le força à avancer avant de grimper sur son dos.

Seul dans la nuit, le Manipulateur descendit le chemin étroit et se dirigea vers la vallée, un mauvais pressentiment enfoui au fond de lui.

« Cet endroit ne me plait pas », dit Aomor à son Spectre.