Le regard du Lion - Double-âme [2]

Chapitre 27 :

Le claquement des pans de mon manteau dans le vent. Le froid qui s'engouffre sous mes habits. La neige qui crisse sous mes bottes.

Depuis deux jours, on monte.

La température se fait de plus en plus glaciale. On a fini depuis longtemps les abats du serpent et toutes nos dernières provisions. On ne se nourrit plus que par le pain hardtack, une tranche chacun le matin, qu'on suce toute la journée parce que le pain est trop dur pour qu'on puisse le croquer sans s'arracher une dent.

On y ajoute quelques racines qu'il nous reste le midi, et on avance avec ça dans le ventre. Notre notre équilibre et notre vigilance en sont beaucoup affecté, ce qui se révèle hasardeux à quelques pas du vide. Trouver une nouvelle source de nourriture est vitale. Ce qu'il l'est encore plus, c'est l'eau. Nos gourdes sont totalement vides. Ma gorge et ma bouche sont si sèches que j'ai l'impression de ne plus avoir une goutte de salive.

Notre seule chance de nous en sortir serait d'atteindre le bout de tout ça, ou au moins, un terrain plus plat et végétal où on retrouvera des proies et de l'eau. Mais cela fait deux jours qu'on traverse les sommets, deux jours que nous sommes seulement entouré de gris et de blanc, sans aucun autre horizon.

Depuis ce matin, le brouillard s'est levé, le soleil est caché et nous éclaire d'une lueur presque fantomatique. Le ciel est si obscur de nuages à travers le rideau gris et la lumière de l'astre si pâle qu'on dirait la lune en plein jour - ou alors je suis en train de délirer. Ça se peut, le manque d'eau nous fait voir des mirages de plus en plus fréquemment.

Notre rythme est bien loin de celui des premiers jours. On avance toujours, mais on est lent. Beaucoup plus lent ce que je voudrais. On a tous plus de mal à se lever chaque matin qui passe. On se force à ne pas dormir plus quatre ou cinq heures d'affilé pour éviter le risque de ne pas se réveiller le matin.

C'est Laaja qui souffre le plus de la déshydratation. Elle est plus pâle que nous tous et des fois, elle chancelle comme si elle allait tomber. Kaïcha et moi, nous sommes rapprochés d'elle. Vers le milieu de la matinée, son état devient critique et Kaïcha et moi devons la soutenir. Ash lui prend son sac et on décide de faire une pause en urgence sur une petite corniche pour qu'elle puisse reprendre son souffle.

Je lutte pour ne pas me laisser tomber au sol et me recroqueviller en envoyant tout valser. J'ai si peur, putain ! La terreur s'accroche à ma gorge et se nourrit de sa sécheresse, de sa douleur, de ma faiblesse physique.

Le périphérique de ma vision devient noir. Ce serait si facile... juste tout arrêter. Ne plus se préoccuper des autres. Seulement apaiser enfin ma douleur. Ne plus bouger. Ne plus souffrir. Ne plus exister.

Kaïcha me serre le bras et je relève brusquement la tête. Son regard agit comme un électrochoc. Je serre les dents et me concentre sur la neige, de telles pensées sont trop dangereuses pour les laisser aller et venir. J'invoque l'image d'Aron. Ses yeux sombres si précieux et familiers. Son petit sourire en coin quand il me tient tête.

Je ferme fort les yeux. Je ne peux pas l'abandonner. C'est pour lui que je fais ce trajet.

Pour qu'il puisse vivre.

Je rouvre les yeux. Je dois bouger. M'activer. Ne pas me laisser me refroidir. Je m'exhorte à ressembler le reste de force que j'ai et je piétine sur place en faisant des mouvements de bras afin de faire circuler le sang dans mes mains gelées. Mes pieds, eux, sont chauffés par l'exercice.

Ce dernier fixe la neige comme un supplicié, mais la neige ne réglera pas sa soif, cela ne fera que baisser encore plus sa température corporelle et même si nous réussissions à allumer un feu sur la neige, il ne durera pas assez longtemps pour la purifier. Tomber malade à cause d'ingestion de neige sera notre dernier regret.