Le regard du Lion - Double-âme [2]

Chapitre 19 :

- On prend ce couloir.

M. Jamal nous a donné une série d'instruction pour arriver jusqu'à l'échelle de secours pour sortir dehors. Je me doutais qu'il y en avait plusieurs dans le bunker, mais je n'ai jamais eu l'occasion de les localiser, si bien qu'on doit se fier entièrement à ses instructions et à la mémoire de Kaïcha.

On avance rapidement et en silence. On s'est levé au milieu de la nuit et on a enfilé une tunique épaisse, un pantalon en cuir résistant, et un long manteau qui nous sera vital dans les montagnes. Nous avons pris nos armes et nous sommes sortis de la chambre dans la lumière faible de nuit.Mon arbalète pend dans mon dos, attaché à mon sac qui se frotte au mur avec un bruit irritant. Ils ont un prix inestimable pour nous, ils représentent la garantie de notre survie dans les montagnes. Si nous venons à les perdre, nous sommes des femmes mortes.

Bien qu'allégé le plus possible, ils font le poids d'un loup mort. Nous avons des années d'entraînement de marche avec des sacs, mais il faut prendre en compte la faim, le froid et la fatigue qui vont nous affaiblir le long du voyage. Je suis contente d'avoir pu manger et dormir autant ces dernières semaines. Mon corps n'a pas l'habitude d'être aussi nourri et reposé et je vais avoir besoin des réserves que j'ai pu accumuler dans la chambre de soin ces prochaines semaines.

Les couloirs se rétrécissent de plus en plus au fur et à mesure qu'on avance. L'odeur de poussière et de renfermé me confirme ce que mes tripes me font sentir : nous sommes dans un passage qui a du être condamné pendant longtemps.

Les couloirs tournent dans tous les sens. J'arrête d'essayer de m'y retrouver au bout d'un moment. Celui qui construit le bunker devait être un proche parent de Dédale, même si contrairement à son labyrinthe à ciel ouvert, le nôtre à un plafond désespérément clos.

Nos bottes de combats en cuir résonnent sur le sol. Kaïcha marche devant. Son sac doit être un peu plus lourd, car elle y a fourré un hardtack qu'elle a préparé hier, denrée très précieuse qui nous permettra d'avoir à manger quand tout le reste de nos provisions seront fini. Ce pain préparé à base de beaucoup de farine, de sel et d'eau, a de ce fait une très longue durée de conservation - plusieurs année.

C'est l'aliment que tous ceux qui partent en expédition dans les hauteurs emportent, et qui permet d'avoir toujours quelque chose à manger dans des situations d'urgence. L'inconvénient est qu'il est très dur, ce qui fait que pour ne pas se casser les dents, il faut sucer les bouts un long moment pour les ramollir.

On aperçoit enfin la fin du couloir, qui se révèle être une impasse dont le mur du fond abrite une échelle encastrée dans le plâtre. Kaïcha me fait signe de passer devant et je monte l'échelle jusqu'en haut. Je soulève la trappe métallique et une brise froide s'engouffre dans le trou et fait dresser mes poils sur ma peau avec délice. Une boule de bonheur rayonne dans mon ventre. Je tourne mon visage vers le soleil et goûte à sa chaleur en fermant les yeux de bonheur. 

Cela fait une éternité que je l'ai sentie sur ma peau !

Je hume l'odeur riche de terre de l'extérieur. Les bruits aux alentours me paraissent amplifiés et les couleurs et la lumière, douces et naturelles, contrastent avec la lumière crue des lampes du bunker auquel mes yeux se sont habitués. Qu'est-ce que c'est bon d'enfin sortir ! Une voix familière me salut :

- Shari, enfin !

M. Jamal. Un mélange de glace et de feu fusionne dans mes veines. Je lève les yeux. Sa veste et ses belles chaussures détonnent au milieu de nos bottes chaudes et de nos manteaux.

- Elle compte rester là-dedans combien de temps ? Lâche Ash d'un ton cassant, les bras croisés.

Un frisson inhumain me parcourt. Je haïs sa façon de parler de moi. Comme si je ne méritais même pas qu'on pose le regard sur moi. Je ne m'étais pas préparé à ça. Je serre les mâchoires si fort que j'entends mes dents crisser et me retourne.