Le regard du Lion - Double-âme [2]

Chapitre 39 :

Marcher me demande un contrôle sur moi que je n'ai pas, pourtant, je mets un pied devant l'autre. Je dois lutter contre la pulsion de retourner près d'elle. C'est comme essayer de nager à contre-courant. Épuisant. Je m'enfonce les ongles dans la peau pour ne pas céder à ce courant.

Mon épaule me lance de plus en plus fort et m'embrouille la tête, une distraction parfaite sur laquelle je me concentre pour ne penser à rien d'autre. J'ai l'impression qu'un tambour pulse à l'intérieur de moi, frappant chacune de mes blessures. Je grimace et essuie la transpiration et la poussière accumulée sur mon front. Je me rends soudain compte à quel point j'ai chaud. Je ruisselle de sueur.

J'essaye de ne pas penser à Kaïcha, mais ma peur croît de minute en minute, se blottissant sournoisement dans le creux de mon ventre. Je ne suis pas très stable sur mes pieds. Quand son cri de douleur me gifle, je craque. Je fais demi-tour.

Laaja est en train de soulever un des bandages à sa jambe. Kaïcha se mord la lèvre, puis sa tête retombe au sol, inerte. J'agrippe sa main et me penche brusquement sur elle.

- Kaïcha ? Je lui donne une gifle, mais elle ne réagit toujours pas. Kaïcha !

Ma voix déraille. Ash me force à lui lâcher la main.

- Eloigne-toi, Shari ! Il s'exclame. Nous ne savons pas ce qu'elle a, si c'est une maladie on ne peux pas s'approcher de si près !

- Dégage !

Elle ne peut pas avoir chopé une maladie aussi vite, si ? Je sens la panique monter en moi. J'essaye de l'enfermer dans ma poitrine, sans succès. Je veux pas qu'elle parte.

Laaja la palpe rapidement, touche précautionneusement sa blessure à la jambe. La peau est gonflée et des petites stries rouges partent de sa blessure vers l'extérieur. Une zone rouge pâle s'étale autour. Les chairs sont rouges et luisantes à l'intérieur, et un liquide jaunâtre en suinte. Son visage se ferme en un masque impénétrable.

- C'est sa jambe. La blessure s'est infectée, elle souffle.

Je vois une fille dans mes propres bras, en mision. Elle a le visage pâle, si pâle qu'on dirait de la neige, un bandage essaye de masquer la blessure à son bras. La voix des médecins tombent "Morte par infection de la plaie." puis c'est une autre fille, un garçon, un vieillard, "mort par infection de la plaie", "morte par infection de la plaie"...

Ma tête est sur le point d'exploser. Je sens la douleur pulser de plus en plus fort dans mon épaule. Je respire par à-coups.

- Shari ? La voix de Laaja me parvient étouffée.

J'ai une bouffée de chaleur. Une autre voix m'appelle, brouillée.

J'ai l'impression d'avoir les sens étouffés, comme si on avait placé un tissu dessus. J'essaye de l'enlever, mais je n'y arrive pas. Je sens un choc contre mes muscles et une odeur de terre m'emplis les narines. Je perçois des voix déformées autour de moi comme si j'avais la tête sous l'eau.

Soudain, un liquide glacé m'atterrit dessus et je rouvre brusquement les yeux en prenant une brusque respiration. Je tousse et me tourne instinctivement sur le côté pour recracher de l'eau. Une main rêche me soutient la tête. Je l'attrape brusquement et m'y accroche en toussant. Je halète et me relève sur mon coude. Je remonte le regard sur Ash qui me fixe, quand j'entends soudain une voix à côté de moi.

- ...arrêter de s'évanouir, là !

Je lâche sa main et tourne la tête vers la voix en grimaçant. Comme si j'avais pas déjà assez mal au crâne. Laaja me regarde avec inquiétude.

- Pourquoi tu m'as pas dit que t'était mal, toi aussi ?! Elle s'écrit, à bout de nerfs.

Ma tête retombe au sol.