CHAPITRE VII

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Deuxième levé de soleil depuis que Lewis était arrivée chez le chapelier. Ce matin-là, pas de bruit de vaisselle se brisant contre le sol. Quand le garçon descendit à la cuisine, le chapelier achevait de mettre la table. Il paraissait plus détendu que la veille.
"Ah, te voilà. Viens, tu tombes justement en plein dans le bon moment. Le petit déjeuné est presque prêt, j'ai préparé des œufs, du miel, du pain et de la confiture. D'ailleurs, les œufs doivent être prêts. Assieds-toi"
Lewis s'installa calmement. Encore ensommeillé, il se frotta les yeux pour se réveiller un peu. Sur la table, il y avait en effet des pots de miel et de confiture et des tranches de pain déjà beurrées. Le chapelier revint vers la table, tenant une poêle légèrement rouillée. Le jeune garçon arrivait à sentir l'odeur des œufs cuits. Cependant, lorsqu'elle fut posée, ce que contenait la poêle était bleu avec de petit morceaux en forme de cercle blancs. Lewis était surpris. La soupe lorsqu'il était arrivé et les fruits qu'ils avaient eu la veille lui avaient semblé plus appétissants. Plus...communs
"Ce sont des œufs ? demanda-t-il, perplexe.
-Bien sûr, répondit le chapelier en s'installant à son tour. Enfin tu dois...ah oui c'est vrai ! Vois-tu...eum, je ne me souviens plus trop... Je n'ai pas beaucoup de souvenirs de mon enfance. Enfin, ici, les choses sont différentes. Les oiseaux sont différentes...euh différents. "
Il prit une tartine et commença à l'enduire de confiture.
"Donc, leurs œufs aussi. Et en blanc, ce sont des champignons.
-Vous avez pris beaucoup de temps pour qu'ils aient cette forme ?
-Oh non, non. Il faut juste les couper en largeur.
-Mais ce sont des cercles. Les morceaux auraient dus être des disques.
-Ces champignons, répondit-il entre deux bouchées, sont en forme de tube. C'est pour ça que ce sont des cercles. Dis, tout à l'heure, je dois partir chercher des provisions et j'aimerais que tu m'accompagnes."
Lewis avait entamé une tranche de pain avec des œufs. Pas mauvais au final. Il fixa son interlocuteur avec étonnement.
"Moi, pourquoi ?
-Parce que...je préfère...ne pas...te laisser seul ici. La reine pourrait en profiter, aussi je préfère t'avoir à l'œil."
Lewis sourit. Il voyait que le chapelier venait tout juste d'imaginer cette raison. Il y avait peut-être du vrai, mais le garçon voyait qu'il ne disait pas tout. Cependant, même après que celui-ci lui est rendu son sourire, une lueur d'anxiété demeurait dans ses yeux.
Une fois le petit déjeuner terminé, le chapelier avait demandé à Lewis de l'attendre sur le palier de la porte. Il revint avec son vieux sac, ayant changé de veste bien qu'elle soit comme l'autre rapiécée.
"C'est bon, nous pouvons y allez, annonça-t-il souriant."
Sur ces mots, ils s'enfoncèrent dans la forêt qui faisait face à la maison. Lewis suivait le chapelier, calmement, mais un peu distrait. Il observait. Les arbres, qui ressemblaient assez à ceux qu'il connaissait. Il n'y avait encore rien d'intéressant à voir. Après avoir marché silencieusement pendant un bon quart d'heure, Lewis avait retrouvé un sentiment qu'il n'avait pas eu le temps de ressentir depuis son arrivée : l'ennui.
"Devons-nous marcher encore longtemps, demanda-t-il d'une voix fatiguée et agacée en même temps.
-Peut-être, tout dépends de si je trouve ce que je veux.
-Et vous cherchez quoi ?
-Certaines choses.
-Quelles choses ?
-À quoi bon bon te dire leurs noms puisque tu t'empresseras ensuite de me demander ce que c'est.
-Pff...
-Qu'as-tu ?
-Je m'ennuie, j'en ai assez de marcher.
-Sois patient, fit le chapelier en haussant les épaules. Et puis tu ne vas pas me dire que cet endroit est plus ennuyeux que chez toi.
-En ce moment oui, répliqua Lewis. Et au moins, chez moi, je n'avais pas peur de me faire tuer !
-Eh calme-toi. Moi ça fait onze ans que je suis là et j'ai dû attendre longtemps avant qu'elle me laisse tranquille.
-Vous êtes là depuis onze ans."
Lewis l'observa tout en marchant. Le chapelier semblait avoir la vingtaine. Onze ans.
"Vous étiez enfant, reprit-il, quand vous êtes arrivé ici."
Le chapelier s'arrêta et se retourna brusquement. Ses cheveux frisèrent légèrement. Il semblait comme surpris de cette réflexion.
"Oui...oui, j'avais dix ans, souffla-t-il."
Il parlait avec d'une voix faible, presque étouffée. Ses cheveux s'étaient raidis. Lewis poursuivit, attentif.
"Vous aussi, elle a...
-Elle a essayé, mais n'a pas réussi...Je me suis échappé...mais elle n'a pas abandonné comme ça...Elle m'a traqué, pendant si longtemps. Mais, quand j'ai eu quinze ans...plus rien. Je n'étais plus sur sa liste...J'étais...devenu trop grand. Trop grand pour lui être utile..."
Il marqua une pause et s'essuya les yeux.
"Par contre, je n'étais pas trop grand pour m'introduire dans le palais, pour voler la clé et m'enfuir discrètement. Mais j'avais trop attendu pour le faire...et quand j'ai eu le courage de le faire, j'étais devenu trop grand...pour passer la porte."
Lewis étais stupéfait de ces aveux si soudains. Il l'avait déjà vu pleurer, mais pas avec une telle sincérité. Enfin, il l'avait surtout vu dans des accès de folie. Mais cette fois, il semblait parler avec lucidité, penser chacun de ses mots et leurs conséquences avant de les prononcer.
"Je suis coincé ici, soupira-t-il. Pour le restant de mes jours. Et le pire, c'est que je dois vivre en sachant que c'est de ma faute.
-Que voulez-vous dire ?"
Le chapelier fit mine de répondre, mais s'abstint. Il sourit au jeune garçon.
"Rien. Dis, tu veux bien me dire comment c'est chez toi.
-Chez moi. Eh bien, je ne sais pas trop par où commencer. C'est assez grand, une grande maison près de la forêt.
-Tu y habites avec tes parents ?
-Oui, fit le garçon un peu amer.
-Tu as des frères et sœurs ?
-Non, je suis fils unique, mais depuis le départ d'Alice ma mère et mon père veulent toujours que je passe du temps avec les enfants de leurs amis. Des fois on va même à Londres pour voir mes cousines.
-Ah ! J'avais deux cousines, s'exclama-t-il. De vraies pestes. Elles m'embêtaient tout le temps parce que j'étais plus jeune qu'elles. Mais heureusement, dès qu'elles commençaient, ma..."
Il s'interrompit, comme étranglé. Le chapelier secoua la tête et reprit.
"Enfin, ta famille doit te manquer...
-Oui, beaucoup, soupira Lewis. Je n'aurais jamais dû m'enfuir.
-Tu...tu t'es sauvé de chez toi. Pourquoi donc ? demanda le chapelier faussement indifférent.
-Mes parents voulaient m'envoyer en pension. Pour que je puisse me faire des amis, ou plutôt des futurs associés.
-Pour reprendre l'affaire familiale. Moi j'aurais bien voulu, j'étais doué. Oh, attends."
Il s'arrêta un instant, se laissant dépassé par Lewis et ôta son chapeau, avant de reprendre la marche pour le rattraper.
"Regarde, celui-là. Ce n'est pas mon plus beau mais, il n'est pas mal, dit-il, fier.
-C'est vous qui l'avez fait.
-Oui, ma mère m'a appris à coudre, mais c'est mon père qui m'a montré comment faire des chapeaux. Il était chapelier et je voulais être chapelier comme lui.
-C'est vous qui avez cousu vos vêtements ?
-Eh oui, il fallait bien. Je fais comme je peux ici. Tiens, nous arrivons."
Devant eux se trouvait une grande prairie d'herbe verte abritant des plantes en tout genre.
"Ne t'éloigne pas trop, je veux t'avoir à l'œil, lui dit le chapelier tandis qu'il s'avançait. Regarde mais évite de toucher. Et si tu vois une fleur rouge n'y touche surtout pas surtout, d'accord ?
-D'accord.
-Oh, et si tu trouves des champignons bleus avec des rayures noires...
-Oui.
-N'y touche pas non plus. Par contre préviens moi si tu en trouves des roses à pois gris.
-Très bien."
Sur ce, Lewis le laissa et entreprit d'explorer les environs. Il reconnaissait certains éléments comme les papillons briochés. Il se pencha pour observer une plante avec des petites boules pelucheuses de couleurs différentes. Lorsque l'une d'entre elle s'envola, il comprit qu'il s'agissait de coccinelle. Lewis se releva et chercha le chapelier des yeux. Il le vit accroupit en train de ramasser des plantes. Une coccinelle bleue se posa sur la joue du garçon. Il la prit sur son doigt et souffla dessus pour qu'elle s'envole. L'endroit était plutôt reposant. Lewis sortit son calepin et son crayon de sa sacoche. Il s'était refusé à la laisser dans la maison. Il l'ouvrit là où il avait laissé son dernier sujet, le moineau inachevé. Il commença par dessiner les coccinelles pelucheuses. Puis il dessina les fleurs, les champignons, les insectes. Il était même parvenu à reproduire un petit rongeur tacheté. Il venait alors d'apercevoir une petite touffe de poils rousse disparaître dans les fourrés. Il allait écarter les branches d'un buisson pour voir de quoi il s'agissait, mais s'arrêta dès qu'il entendit un petit couinement étouffé. Lewis recula sa main lorsqu'il entendit un bruissement de feuilles. Il se redressa, rangea son carnet et son crayon dans son sac et tourna les talons. Il rejoignit le chapelier qui semblait chercher quelque chose dans son sac.
"Vous avez terminé ? demanda le garçon.
-Ici oui. Il me manque encore des choses mais je les trouverai ailleurs. Allons-y."
Ils se remettaient en route, lorsqu'ils sentirent le sol vibrer sous leurs pieds à intervalles réguliers. Ces vibrations s'accompagnèrent ensuite de longs cris aigus.
"Vampglash, soupira le chapelier, plus exaspéré qu'effrayé.
-Pardon ? l'interrogea Lewis sans comprendre.
-Ne cours surtout pas. Couche toi."
Sur ces mots, le chapelier attrapa Lewis par le col et le plaqua à terre. Le cri se rapprocha et les bruits de pas aussi. Lewis osa alors lever légèrement la tête. Son regard s'arrêta sur un grand oiseau, au moins haut comme un arbre. Il avait un grand bec noir effilé, un plumage brun et une crête de plumes vertes touffues. Il se déplaçait à la manière d'un coq, la tête toujours relevée, il ne baissait jamais le regard. Lewis restait plaqué au sol, comme paralysé. Le chapelier était dans la même position mais paraissait plus serein. Il demeurait immobile, son visage n'affichait qu'un sentiment de patience. Le jeune garçon était au contraire beaucoup plus angoissé ou il semblait l'être du moins, car si le chapelier semblait calme il se pouvait qu'il ne le sois pas réellement. L'énorme oiseau se rapprocha faisant vibrer le sol sous ses pattes. Lewis tentait de se rassurer afin de faire cesser le tressaillement de ses mains. Ils agrippait plus fermement les brins d'herbe à mesure que la créature approchait. Elle posa son immense patte dans l'espace qui séparait l'homme du garçon. Le regard de Lewis resta fixé sur les longues serres aiguisées de l'oiseau. Pendant un instant il s'imagina que l'une d'elle lui passait au travers du corps, puis chassa aussitôt cette penser pour tâcher de se calmer. Il demeura sur ses gardes jusqu'à ce que l'animal s'éloigne. Il ne les avait pas vu. Lorsqu'il eut totalement disparu, le chapelier se mit à rire doucement. Lewis à son tour esquissa un sourire dans un soupir de soulagement. Cela le surprenait lui même. Au fond, il commençait peut-être à s'y faire, au danger constant... Non, enfin !
"J'ai cru qu'il nous aurait remarqué, fit-il.
-Oh, non, ne t'inquiète pas pour ça, le rassura le chapelier. Quand rien ne les dérange, il ne baisse jamais ni la tête ni le regard.
-Comment vous appelez ça déjà ?
-Un vampglash, répondit-il en se relevant. Si on avait fait du bruit, il nous aurait entendu et là on aurait été fichu.
-Et même, il nous aurait écrasé par mégarde.
-C'est possible, admit l'homme en offrant sa main au garçon pour qu'il se relève."
Une fois qu'il furent debout, ils se remirent en route.
La partie de la forêt dans laquelle ils progressaient était beaucoup plus colorée. Les feuillages verts et orangés laissaient place à des teintes roses, rouges, violettes et bleues. Comme si l'événement de tout à l'heure les avait délivré d'un poids, les deux compagnons de route se remirent à parler gaiement.
"Finalement, dit Lewis avec un ton enjoué, j'aurais mieux fait de ne pas me plaindre de mon ennui.
-Tu devrais t'y faire, lui conseilla le chapelier on pourrait croiser autre chose.
-J'imagine. Comment vous avez fait pour vous y habituer ?
-En fait je ne sais pas trop. Tu sais je pense qu'on fini toujours par s'adapter à l'endroit où l'on est quand on y reste longtemps. C'est une sorte d'instinct de survie.
-Oui, ça doit être ça."
Un court silence s'installa. Seul les bruits de leurs pas raisonnaient. Un peu trop selon Lewis. Il s'arrêta. Le chapelier en fut intrigué. Il s'arrêta à son tour.
"Qu'y a-t-il ? Fit celui-ci.
-Écoutez."
En effet, bien qu'il eurent cessé de marcher, on entendait toujours des bruits de pas. Mais plus éloignés.
"Mon garçon ? dit sérieusement le chapelier.
-Oui.
-Nous allons courir, veux-tu ?"

LewisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant