CHAPITRE XX

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Ils s'étaient maintenant suffisamment éloignés du château pour espérer être tranquille. Le Chapelier avait pris la carte.
"Nous avons de la chance mon garçon. La porte est sur les Terres Blanches. Au moins là-bas, nous serons vraiment en sécurité. Bien que je ne pense pas que la reine cherche encore à te retrouver.
-Quand y serons-nous ?
-Cinq jours à pied, mais...
-Cinq jours !
-Puis-je finir ma phrase ? demanda-t-il avec autorité.
-Oui, bien sûr.
-Mais nous prendrons le train. Étant donné que je n'ai pas eu l'occasion de payer l'aubergiste, il me reste encore de quoi nous prendre un aller simple.
-Je suis rassuré. Mais, si vous n'avez pas d'argent avec quoi comptez-vous payer ?
-Tu n'imagines pas la nature des pierres que je trouve parfois autour de ma maison."
Les deux compagnons de route approchaient d'une ville. Elle n'avait pas vraiment de différences avec celles que Lewis connaissait. Ils trouvèrent rapidement la gare. Dans une ville dont toutes les rues étaient pavées, il valait mieux ne pas traîner. Après avoir pris leurs tickets, ils s'installèrent.
"Ah, enfin un peu de tranquillité, soupira le Chapelier."
À cet instant, une jeune fille en uniforme arriva dans le compartiment avec un grand sourire. Elle avait des cheveux verts, blancs et roses coupés en carré.
"Bonjour, dit-elle joyeusement. Bienvenue dans l'Express du Miroir. Je m'appelle Beryl et je suis chargée de veiller à votre confort durant notre voyage. À quel arrêt descendez-vous ?
-Brise-Neige, répondit le Chapelier.
-Très bien. Je vous avertirais lorsque nous y serons."
On annonça le départ du train.
"Le train va partir, continua Beryl. Nous risquons d'être un peu secoué. C'est pourquoi vous pouvez vous accrocher au poignée située près de vos accoudoirs."
Le sifflet du train accompagna la mise en marche.
"Départ de Cendre-Coeur, annonça la jeune fille."
Soudain, Lewis fut plaqué contre son siège puis partit vers l'avant lorsque le mouvement cessa.
"Désirez-vous quelque chose à boire ou à manger ?
-Est-ce que vous avez du thé ? demanda le Chapelier.
-Bien entendu."
Elle tira un chariot sur lequel se trouvait plusieurs tasses et sachets de thé, ainsi qu'une théière. Lewis se sentit de nouveaux basculer mais cette fois vers l'avant.
"Vous avez de la camomille ?
-Alors, laissez-moi regarder."
Le train s'arrêta. Le garçon avait le souffle court. Il se cramponna à la poignée.
"Fruit rouge..."
Le train repartit.
"Earl Grey..."
Le train s'arrêta. Lewis se demanda combien de temps il pourrait supporter cela.
"Brioche..."
Nouveau départ.
"Rôti..."
Nouvel arrêt.
"Ah...non. Avoine..."
Un autre départ.
"Ah...Camomille !"
Un autre arrêt. Beryl mit le sachet dans la théière. Elle prit ensuite une allumette en sucre d'orge. Elle l'alluma et la jeta dans la théière. Le train repartit.
"Est-ce que le jeune homme désire quelque chose ? demanda la jeune fille en se tournant vers Lewis.
-Euh, non. Merci, répondit-t-il un peu chamboulé.
-Très bien."
Elle versa le thé dans une tasse qu'elle présenta au Chapelier. Le train s'arrêta.
"Merci beaucoup.
-Bonne dégustation."
L'homme but tranquillement son infusion. Le train continua d'aller et venir, de s'arrêter puis de repartir.
"Brise-Neige, annonça Beryl."
Enfin. Elle appuya sur un bouton et le compartiment s'ouvrit sur l'extérieur. Le Chapelier déposa sa tasse et descendit avec Lewis.
"Nous vous souhaitons une bonne journée, dit la jeune fille tandis les portes du compartiment se refermaient."
Le train repartit, aussi vite qu'il était arrivé.
"Le trajet était un peu long, fit le Chapelier en se tournant vers le garçon.
-Vous trouvez...
-Non, tu as raison. C'est la distance qui est plus grande. D'habitude je ne vais pas si loin. Bien que je ne prenne pas souvent le train. En fait je ne prends jamais le train.
-Je vois. Où se trouve la porte ?
-Elle se situe précisément dans un jardin. Un très grand jardin.
-Et où se trouve-t-il ?
-Là."
Le Chapelier lui indiqua un immense château situé sur une colline non loin de la cité.
"Le château de la reine Blanche. Si j'avais su je serais parti avec un meilleur chapeau."

Ils arrivèrent devant la grille du château Blanc. Ils furent interpelés par un garde qui se trouvait en haut d'une tour.
"C'est pour quoi ? lança-t-il.
-Audience avec la reine !
-Je vous envoie quelqu'un."
La grille se releva. Et un soldat vint les accueillirent. Il portait une tunique sur laquelle était représenté une pièce d'échec. Un pion.
"Suivez-moi."
Le garde les emmena à l'intérieur du palais jusqu'à la reine. Elle était brune et portait une longue robe de soie blanche avec de grandes manches.
"Bonjour, que puis-je pour vous ?
-Votre Altesse, débuta le Chapelier. Nous sommes venus ici car, ce jeune garçon, est passé par la porte.
-Oui, je vois, soupira-t-elle. Et je suppose qu'il doit rentrer chez lui.
-Oui c'est cela.
-Mais...vous lui avez donné...
-Euh, oui...votre Altesse."
Lewis ne comprit pas. Qu'est-ce qu'il avait ? Cette fois, il entendait bien obtenir des explications.
"Chapelier, qu'est-ce j'ai ?
-Il ne sait pas ? fit la reine, surprise.
-Il n'a pas eu l'occasion de se regarder.
-Je peux faire apporter une glace si vous le désirez."
Lewis hocha la tête. La reine fit un signe de tête à une femme qui revint avec un miroir assez grand pour voir son visage. Lewis prit l'objet. Ce reflet n'était pas le sien. Le visage qu'il voyait était pâle. Ses yeux et ses cheveux étaient noirs. Il lança un regard culpabilisant au Chapelier.
"Pourquoi vous ne me l'avez pas dit ?
-S'il te plait pardonne-moi. Je ne savais pas comment te l'annoncer. Je ne devais l'utiliser qu'en dernier recours...
-Mais pourquoi ?
-La reine privilégie les yeux clairs... Elle ne peut rien tirer des tiens, à présent. Je voulais...m'assurer qu'elle te laisse tranquille."
Lewis avait d'abord été en colère. Puis il s'apaisa et réfléchit. Il n'était jamais bon d'agir sous l'effet de la colère. Il veillait à toujours réfléchir pour forger ses avis. Il repensa à ce que le chat lui avait dit. Finalement, lequel avait été assez fou pour franchir la ligne parce qu'il tenait à quelqu'un ?
La reine les mena au jardin. Lewis n'en voulait pas au Chapelier pour ce qu'il avait fait. Il avait juste voulu le protéger. Cependant, il s'inquiétait pour ses parents. Allaient-ils le reconnaître ?
"La voici, dit la reine."
La porte se trouvait au milieu d'un parterre de fleur bleues et blanches. Lewis sortit la clé de sa poche.
"J'ai du mal à croire que je vais partir.
-C'est pourtant crédible, lui répondit le Chapelier.
-C'est même la chose la plus crédible que j'ai vu ici. Vous...vous allez me manquer."
L'homme semblait sur le point de pleurer.
"Toi aussi tu va me manquer, marcassin."
La reine s'avança vers le jeune garçon.
"Petit, quand tu passeras, laisse la clé sur la table en verre et dépose ceci tu veux."
Elle lui tendit une petite fiole ainsi qu'un paquet.
"Et s'il te plait, ne bouche pas le terrier. Il doit rester ouvert.
-Mais...si d'autres enfants...
-Ne t'en fait pas. Il doit rester ouvert pour le retour d'Alice.
-Alice va revenir...
-Elle est la solution à nos problèmes. Elle seule pourra affronter la Reine de Coeur.
-Très bien."
Lewis glissa la clé dans la serrure et ouvrit la porte. Il s'adressa une dernière fois au Chapelier.
"Au revoir.
-Au revoir, petit."
Il passa de l'autre côté et verrouilla la porte. Il déposa la clé, la fiole et le paquet sur la table en verre, comme on le lui avait demandé. Ignorant comment il ressortirait, Lewis observa autour de lui. Soudain, il se sentit tomber. Cette fois-ci, sa chute ne lui arracha aucun cri.

LewisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant