CHAPITRE VIII

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L'air sérieux du chapelier ne laissait place à aucun doute. C'était un ennemi qui approchait et il était de taille.
"Peut-être qu'ils ne nous ont pas vu, supposa Lewis, sans véritablement savoir ce que "ils" désignait.
-Les gardes n'inspectent jamais la forêt sans oursiers. Ils nous trouverons quoi qu'il arrive. Maintenant cours."
Le chapelier s'élança, Lewis suivit. Ils se firent immédiatement repérer. On entendit un bruit de chaînes accompagné de grognement nerveux. Enfin, le son de la course d'une lourde créature. N'ayant jamais été très endurant, Lewis se fatiguait rapidement. Le paysage changeait. Les arbres se faisaient plus rares, l'herbe aussi. Le sol devenait caillouteux. Le garçon tourna rapidement la tête afin de voir ce qui le poursuivait. Cela ressemblait à un ours, énorme, des défenses et un museau de sanglier, des oreilles de vaches tombantes et deux pattes arrières s'apparentant à celles d'un bovin. Bien que cette créature semblait lourde, elle gagnait très rapidement du terrain. Une haute barrière de ronce se dressa bientôt face à eux.
"Ralentis pas ! hurla le chapelier à Lewis.
-On va finir dans les ronces !
-Attrape !"
Le garçon attrapa de justesse ce que le chapelier lui avait envoyé. Il s'agissait d'une petite fiole, grande comme le petit doigt de Lewis.
"Bois quand je te le dis et continu à courir quoi qu'il arrive !
-Vous êtes fou !
-Et alors !"
Lewis ne savait pas trop s'il allait l'écouter. Les cheveux de l'homme étaient hirsutes. Il était agacé. Les ronces se rapprochaient, devenant ainsi plus menaçantes.
"Bois et cours !"
Lewis déboucha la fiole et bu le contenu d'une seule traite. Il ne s'arrêta pas. Il lui sembla alors que la barrière grandissait comme tout le reste. La barrière de ronces devint si grande, que le garçon passa au travers, entre les tiges et les épines. Le chapelier dérapa juste avant d'y tomber et repartit aussitôt. L'oursier réagit trop tard et partit dans les ronces, manquant d'écraser Lewis au passage. Le garçon comprit alors qu'il avait rapetissé. Les gardes s'attardèrent un moment sur l'animal qui se débattait dans les ronces puis repartirent à la poursuite du chapelier. Lewis s'enfonça dans la forêt de ronces, s'éloignant ainsi de la créature qui voulait sa mort plus tôt. Derrière le mur de ronces se trouvait une grande forêt d'arbres au feuillage bleu et duveteux. Les feuilles au sol ressemblaient à des plumes. Lewis était sauf, certes mais perdu et seul. Le chapelier l'avait abandonné pour le sauver. Il semblait faire nuit sous les arbres. Le garçon croyait même distinguer la lueur d'un fin croissant de lune. Mais ce n'était pas possible. Il ne marchait que depuis une quinzaine de minutes et il faisait plein jour tout à l'heure. Était-ce un autre phénomène étrange de ce pays ? Ou alors la fiole du chapelier contenait autre chose ? L'arc de cercle bascula lentement et une paire d'yeux bleus luisant apparut au-dessus. Décidément, ce pays mettait la raison de Lewis à rude épreuve. Cette fois-ci, il voyait un chat lui sourire. C'était déstabilisant.
"Bonjour."
De mieux en mieux. Le chat savait parler.
"Bonjour, répondit Lewis qui se voulait respectueux.
-À moins que ce ne soit bonsoir.
-J'imagine, puisqu'il fait nuit.
-Mais il fait jour.
-Mais je croyais..., s'offusqua le garçon.
-C'est là le problème, le coupa le chat. Tu croyais donc tu m'as cru et ici il ne faut pas tout croire.
-C'est-à-dire ? poursuivit-il agacé.
-Qu'à force de croire tout ce que l'on te dit tu vas finir par te tromper.
-Je ne comprends pas.
-Tu devrais être plus méfiant, bien qu'elle ne puisse pas envoyer ses gardes ici.
-Vous parlez de la reine ?
-Vous ? Oh, tu me flattes. Mais oui, je parle de la reine. J'espère que tu auras autant de chance que ton amie. Une petite blonde je crois. Elle a bien faillit y laisser sa tête.
-Qu'est-ce que la reine lui voulait ?
-La même chose qu'à toi, petit.
-Et que me veux la reine ? demanda-t-il exaspéré.
-Ce que toi et ton amie avez et que le chapelier n'a plus.
-Comment ça ?
-Est-ce que ta bouche fonctionne plus vite que ton cerveau ? Tu poses une nouvelle question au lieu de réfléchir à la précédente.
-Bon..."
Quelque chose qu'il avait en commun avec Alice et que le chapelier n'avait plus. Lewis et Alice avaient le même âge, aimaient à peu près les mêmes choses. Mais contrairement au chapelier, ils étaient tous deux des enfants. Même si Lewis avait du mal à le dire. Il avait tout de même treize ans, il ne se considérait plus tout à fait comme un enfant.
"Ça ne m'apporte rien, conclut le garçon. Je sais déjà que la reine ne s'en prend qu'aux enfants. Ce qui m'intéresse c'est ce qu'elle leur fait et pourquoi seulement des enfants ?
-Disons qu'elle fait ça depuis longtemps.
-Encore une fois ça ne m'aide en rien. J'aimerais quelque chose de concret.
-Je suis désolé, je n'aime pas tricher.
-Qui parle de tricher ! s'emporta Lewis. De quel côté êtes-vous ? Et sachez que le sourire que vous affichez en permanence est très agaçant.
-C'est intéressant mais inutile à savoir. Il faut croire que tu n'aimes pas jouer.
-Vous plaisantez ? Non, j'ai trouvé, en fait vous êtes fou.
-Pardonne-moi si je te décourage mais tout le monde est fou ici. Dans une certaine mesure.
-...Vous voulez m'achever.
-Moi non. Mais la reine en a très envie. Puisque tu me fais pitié je vais t'aider à sortir."
Le chat sauta de la branche et marcha, suivant un chemin que lui seul semblait voir. Lewis suivit, bien que ce chat ne lui plaisait pas réellement. Mais puisqu'il semblait savoir des choses, autant chercher à en savoir plus.
"Et, le lapin, c'est lui qui se charge d'attirer les enfants ici ? demanda-t-il.
-Déduction juste. Il est suffisamment petit pour partir et revenir. Tu as bien vu le chapelier, il était enfant quand il est venu et maintenant la porte est trop petite pour lui. C'est le seul passage entre ici et là-bas.
-Je vois. Autrement dit seuls les enfants et le lapin repartent.
-Exact. Cette bestiole est obsédée par le temps. Comme si une minute de retard pouvait lui être fatale.
-Pourquoi ?
-Je ne vais pas non plus tout te dire.
-Je vais me contenter de ça alors, soupira Lewis.
-Tu commences enfin à prendre de bonnes habitudes.
-Je ne sais pas encore si vous êtes l'être le plus sensé que j'ai rencontré ici.
-Parfois il faut faire des folies pour avoir ce qu'on veux, fit remarquer le chat.
-Cette forêt est immense. J'ai l'impression que nous marchons depuis des heures sans avancer.
-Absolument pas, c'est toi qui est petit. Tu ne te rappelles pas ?
-Ah oui, se rappela-t-il sans se rendre compte qu'il n'aurait pas dû l'oublier. Le chapelier m'a donné quelque chose pour que je passe entre les ronces. J'espère qu'il n'a rien.
-Il en a déjà vu de belles. Et avec un peu de chance il est rentré chez lui avec sa tête.
-Il n'a pas eu beaucoup de chance dans sa vie.
-Je trouve qu'au contraire il en a eu énormément, pour s'en être sorti ici, réfuta l'animal.
-Vu son état je me demande à quel prix. Combien de temps nous reste-t-il ?
-Ça dépend. Avant de quoi ? demanda le chat en se laissant dépasser par Lewis.
-Avant de sortir de..."
Le garçon se retourna et constata que l'animal avait disparu. Il se retourna de nouveau. Mais le paysage avait changé. La forêt d'arbre aux feuilles duveteuses avait laissé place à un chemin de pavés bordé d'herbe. S'il y avait un chemin c'est qu'il devait mener quelque part. Lewis le suivi donc. Il distingua bientôt un village. Enfin le genre d'endroit qui semblait rassurant à ses yeux.

LewisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant