CHAPITRE XIII

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Finalement, William avait laissé Lewis dormir dans sa chambre. Lui s'était endormi dans le couloir devant la porte, par précaution. Le garçon ne trouvait pas le sommeil. Il demeurait anxieux malgré tout. Il lui sembla alors voir une silhouette velue sur une étagère. Mais les deux yeux bleus qu'il apercevait ne l'effrayait pas.
"Bonsoir, dit Lewis d'une voix somnolente.
-Es-tu sûr de toi ? lui demanda le chat.
-Très sûr.
-Tu apprends vite. Mais tu n'apprends pas tout. Compte-tu rester ici longtemps ?
-Je ne préfèrerais pas.
-Il est vrai qu'il est dur de passer la nuit sous le même toit qu'une créature qui veux vous dévorer.
-Je l'admets.
-Mais est-ce plus sûr que d'être dehors à la merci d'une autre qui veut vous tuer ?
-Je ne sais pas.
-Tu n'es pas encore sauvé. Es-tu sûr de pouvoir faire confiance au charpentier ?
-Pourquoi ne devrais-je pas ? Il ne me veut pas de mal. De plus il m'a dit qu'il m'aiderait.
-Il y a une différence entre dire et faire. Il est si facile de prononcer quelques mots mais si dur d'accomplir des actions. Parfois l'un a plus d'impact que l'autre. Et cela marche dans les deux sens.
-S'il ne m'aide pas, je devrais me débrouiller seul. Si seulement je savais où retrouver le chapelier.
-Quelle ironie...
-Quoi donc ?
-Si l'on compare les deux hommes qui t'ont hébergé, je pense qu'il faut se demander qui est le plus fou des deux. Ou même revoir le concept de folie.
-Comment ça ?
-Qui a été suffisamment fou pour franchir la ligne parce qu'il tenait à quelqu'un ?"
Et sur ces mots, il disparut. Lewis n'avait aucun doute sur la réponse à cette question. Entre un homme ayant perdu la raison mais menant une vie sans mauvaises intentions et un autre capturant les jeunes filles pour les donner en pâture à un morse, il était clair que l'un était allé plus loin que l'autre. Cette discussion avait un peu apaisé Lewis qui finit par trouver le sommeil. Mais son réveil fut plus brusque que convenu. Il faisait encore nuit lorsque William vint le réveiller.
"Debout gamin. Lève-toi.
-Le soleil n'est même pas encore levé, marmonna Lewis.
-Tant mieux. Parce qu'il y a du grabuge au village. Les gardes de la reine fouillent les maisons. Et il cherche un garçon.
-Ils viennent pour moi.
-C'est bien ce qu je me disais. Allons, debout. Comme il fait encore nuit tu pourras t'enfuir discrètement. Viens."
Lewis suivit William dehors.
"C'est bon. J'ai trouvé quelqu'un qui pourra te conduire en lieu sûr."
Il désigna les fourrés desquels sortit un loir. Portant une petite veste et une gavroche, l'animal s'avança rapidement sur ses quatre pattes avant se redresser. Il regardait Lewis avec un air amical.
"Alors c'est pour toi qu'il y a tout ce griffouillis au village, dit-il. Enfin, ne perdons pas de temps.
-Prends bien soin de lui, lui demanda William. Et faites attention.
-Ne t'en fais pas, le rassura le loir. Bon, on y va. C'est que nous sommes pressés."
Le loir alla au devant du garçon qui le suivit ensuite."Au revoir William" pensa-t-il. "Je vous souhaite une meilleure vie".
Le loir l'entraîna dans une autre partie de la forêt. Lewis le suivait avec quelques difficultés dues à l'obscurité et au pelage noir de celui-ci. Mais la visibilité arriva avec l'aube. L'animal allait vite mais vérifiait régulièrement qu'il ne le distançait pas trop. Quand il fit tout à fait jour, ils arrivèrent devant une étrange maison avec un toit de paille tant fourni qu'il semblait être fait de fourrure. Devant cette maison se trouvait une grande table sur laquelle était disposée un service à thé et des assiettes avec des gâteaux. Sur une des chaises se tenait un lièvre, vêtu d'une veste. Lewis ne pût s'empêcher d'esquisser un sourire en s'apercevant que le second convive était le chapelier. Ce dernier paraissait aussi heureux que lui et se leva d'un bond pour aller à sa rencontre.
"Chapelier ! s'exclama le garçon.
-Lewis ! Tu t'en es sorti marcassin ! Et te revoilà aussi grand qu'avant !"
Lewis réalisa alors qu'il était en effet à sa taille normal et se demanda à quel moment il avait grandi. Mais il ne s'étendit pas sur la question. Il était trop heureux de retrouver son ami.
"Je suis si content de vous voir sain et sauf, continua-t-il. J'ai crains que les gardes...
-Tu t'es inquiété...pour moi, acheva-t-il en riant. Tu n'as pas à t'en faire pour moi. Je sais me débrouiller.
-Alors, ça ! fit le loir avec étonnement. Vous vous connaissez, Chapelier.
-En effet le Loir. Ce brave garçon est arrivé récemment. La reine le cherche.
-Je m'en suis aperçu. C'est d'ailleurs pour cela que je l'amène. Je l'ai trouvé chez une connaissance, non loin d'un village que les gardes fouillaient quand nous partions.
-Quelle division ? demanda le chapelier.
-Division des Piques, répondit le Loir.
-Comment ? Des visons vous piques ? demanda le lièvre qui s'approchait.
-Non, Lièvre, le reprit le Loir. La di-vi-sion des Piques fouillait un village.
-Pourquoi tout ce remue-ménage ?
-Les gardes cherchaient ce garçon. Lewis c'est ça ? Je ne le prononce pas mal au moins.
-Oui, c'est cela, confirma Lewis. Et c'est bien ainsi qu'on le prononce.
-Merci bien. Voyez-vous, Lièvre, la reine cherche ce garçon.
-Mais pourquoi donc ?
-Je l'ignore.
-Mais dis mon garçon, dit le chapelier. Que dirais-tu de prendre le thé avec nous ?
-Eh bien...pourquoi pas, accepta Lewis bien qu'il trouvait l'invitation un peu inattendue.
-Oh oui, le thé ! fit le Loir dans un petit cri perçant.
-Soit, installons-nous ! déclara le Lièvre. Mais prenez garde, mon cher. N'en abusez pas.
-Soyez sans craintes, le rassura le Loir. Je ferais attention."
Ils s'installèrent donc et l'on se servit le thé tout en plaisantant dans une atmosphère de détente.
"Mais au fait, dit tout à coup le lièvre. Vous nous parliez de cette journée qu'avait vécu votre...tante ?
-Cousine, le corrigea le Loir. Ma cousine, une souris fort recommandable, a vécu un événement bien surprenant. Alors qu'elle se promenait en compagnie de quelques amis, voilà qu'une rivière surgit de nulle part. Ils furent tous emportés."
Il s'arrêta pour boire quelques gorgées avant de reprendre.
"Fort heureusement, ils parvinrent jusqu'à un tronc creux. Et elle se retrouva trempée, avec ses compagnons et une petite inconnue.
-Vraiment ? dit le lièvre.
-Oui. Et figurez-vous mon étonnement, lorsque je compris qu'elle me parlait d'Alice !
-Alice, notre Alice ? demanda à son tour le chapelier.
-Alice ! s'exclama Lewis.
-Là encore ! s'écria le Loir. Tu connais cette fille ?
-Oui, c'est une amie d'enfance."
D'ailleurs, lorsqu'il cherchait dans ses souvenirs, Lewis se rappela qu'Alice lui avait parlé d'un thé fort étrange en compagnie de ces trois personnages.
"Eh bien ! Vous deux, vous aimez les ennuis, poursuivit le Loir. Enfin. Chapelier, mon ami, voulez-vous bien me resservir ?
-Avec plaisir, agréa l'interpelé.
-Troisième tasse, constata le Lièvre. Vous abusez.
-Mais non, mais non.
-Vous savez que le thé n'est pas bon pour vous lorsque vous en abusez."
La partie se poursuivit joyeusement, sans d'encombres. Cependant, l'on s'éloigna rapidement du rationnel. Malgré cela, Lewis se prenait volontiers au jeu.
"Celle-ci était excellente ! se réjouit le Loir.
-Moi ! s'écria le Chapelier. J'en ai une !
-Parlez donc mon brave ! l'encouragea le Lièvre.
-Pourquoi un corbeau ressemble-t-il à un bureau ?
-Un bureau, répéta le Loir en ricanant. Un bureau, une pie et un oiseau....hi hi..."
Le petit animal semblait soûl. Cet effet était-il dû au thé ? Peut-être ne devait-il pas en abuser pour cette raison ? Et puis, il n'était même pas midi selon Lewis. Il le réalisa seulement maintenant.
"Excusez-moi, mais n'est-il pas un peu tôt pour prendre le thé ?
-Il a raison, reconnut le Lièvre. Avez-vous l'heure ?
-Laissez-moi regarder, dit le Chapelier en sortant sa montre de son gousset. Il est cinq heures.
-Déjà ! fit le garçon que cela surprenait.
-Ah non, il est neuf heures.
-Quoi ?
-Il ne sait pas..., fit le Loir en riant. Il ne sait pas...pas pas pas...pas...
-Je ne sais pas quoi ?
-Je t'explique, débuta le Chapelier. Il semblerait que le Temps ait subi une contrariété. Laquelle a dû être très déplaisante, puisqu'il a décidé de faire comme bon lui semble. Parfois il s'arrête.
-Mais...il fait encore bien jour. Si...
-Le Jour ! cria le Loir. Lui et la Nuit se fiche pas mal du Temps ! Pour eux c'est "Qu'il boude ! Nous n'allons pas tout changer pour lui".
-Vous voulez dire...que le temps..., murmura Lewis comme pour lui-même.
-Alors Chapelier, reprit le Lièvre. Je ne vois pas, vraiment ?
-Oui, donnez-nous la réponse, Chapelier, insista le Loir. Pourquoi un corbeau ressemble-t-il à un bureau ? Allons !
-Eh bien...diantre...je ne sais pas, dit-il en souriant."
La conversation partit en éclats de rire. Seul le jeune garçon ne riait pas. Le temps s'écoulait différemment ici. Mais alors quel impact avait-il réellement ? Le Chapelier avait-il seulement conscience du temps qu'il avait passé ici ? Quel était son âge véritable ? Depuis combien de temps Lewis était-il vraiment arrivé ?

LewisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant