CHAPITRE XV

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Lewis ne pouvait plus prendre une inspiration sans éternuer par la suite et ses yeux larmoyaient. La vieille cuisinière lui lâcha enfin l'oreille.
"Allons Mabel ! Vous allez m'aider à poivrer le ragoût.
-Je ne...suis pas Mabel ! protesta le garçon. De plus...je crois qu'il y a suffisamment...de poivre !
-Il n'y en a jamais assez ! Enfin !"
Elle se pencha vers lui et ajusta ses lunettes.
"N'étiez-vous pas blonde ma chère ?
-Vous vous méprenez ! Je...
-Qu'est-ce que c'est que ces manières ! Ne haussez pas le ton avec moi jeune fille !
-Je ne suis pas une fille ! Et je ne m'appelle pas Mabel !
-Ah ! C'en est trop ! Filez à côté me chercher un autre moulin ! La manivelle de l'ancien est bloqué. Filez !"
Lewis ne se fit pas prier pour quitter la pièce. De l'autre côté, il pût enfin respirer. L'endroit où il se trouvait était rempli d'ustensiles de cuisine, entassés ça et là. Sur une étagère se trouvait quatre moulins à poivre. Mais Lewis n'avait aucune intention de retourner voir cette cuisinière à moitié aveugle. Aussi, il se dirigea vers une autre porte qui le conduisit dans un salon. Un enfant jouait sur le fauteuil avec un coussin. Il s'amusait à l'ouvrir et à en extraire le rembourrage. Il semblait avoir quatre ou cinq ans. Il avait de beaux cheveux blonds et de petites joues rebondies, si propres aux enfants. Il fixait Lewis, silencieusement. Puis dans un éclat de rire, il se précipita vers le jeune garçon dans une démarche maladroite. Puis, il lui attrapa la jambe. Lewis le trouvait adorable mais encombrant. Il devait sortir d'ici.
"Allons, il faut me lâcher, l'incita-t-il doucement. Laisse ma jambe."
La porte s'ouvrit et une femme apparut. Courte, grasse mais bien vêtue. Ses vêtements mauves étaient ornés de dentelle grise et ses cheveux bruns dépassaient très peu de sa coiffe. Elle sursauta en apercevant Lewis.
"Mais...qui es-tu ? Et...que fais-tu avec mon petit ?
-Ne vous alarmez pas, la rassura le garçon qui craignait qu'elle ne se mette à crier. Je ne veux faire de mal à personne. C'est la cuisinière qui m'a confondu avec une de vos employées et m'a fait entrer.
-Ah, tout va bien alors. Je suis navrée de cette méprise jeune homme. Et puis, mon petit Ammich a l'air de bien vous aimer."
Elle se mit à rire en balançant sa tête sur le côté. Puis elle poussa un cri en apercevant ses coussins éventrés. Sa figure s'empourpra.
"Ammich !"
L'enfant se cacha derrière le jeune garçon, tremblant.
"Tu as...C'est toi qui...!"
Le petit garçon commença à pleurer et agrippa le tissu du pantalon de Lewis. Ses sanglots étaient entrecoupés de petits reniflements.
"Je t'ai déjà prévenu ! s'égosilla la femme. Tu ne dois pas déchirer les coussins !"
Le petit Ammich reniflait bientôt tellement fort qu'on aurait dit qu'il grognait.
"As-tu compris !"
Terrorisé, l'enfant cria. C'était un cri étrange, très aigü. Il lâcha le pantalon. Ses vêtements glissèrent sur lui et son nez se retroussa complètement. Il rosit et ses oreilles devinrent tombantes. Il se métamorphosa en porcelet avant de s'enfuir dans une pièce voisine. Lewis le vit détaler avec stupéfaction. La femme se calma et sourit au garçon comme si de rien n'était.
"Ah, cet enfant...Où en étais-je ? Ah oui ! Je m'excuse encore pour l'erreur de ma cuisinière. Je sais, pour me faire pardonner, je vais t'apporter du gâteau. Elle en a justement préparé un. Assieds-toi et attends que je revienne."
Elle passa la même porte par laquelle son fils s'était échappé.
Lewis s'installa sur un fauteuil et patienta. Cette femme n'était vraiment pas prudente. Il aurait pu être n'importe qui. Ou peut-être était-ce lui qui n'était pas assez méfiant. Elle revint au bout de quelques minutes suivit de sa cuisinière suppliante.
"Je vous promets, madame, se justifia-t-elle. J'ai vraiment cru avoir Mabel en face de moi.
-Voyons, vous savez bien que Mabel est blonde et qu'elle n'est plus ici.
-Je sais, madame. Mais j'ai vraiment cru la voir en regardant ce jeune garçon. Pardonnez-moi.
-Va, ce n'est rien, je ne t'en veux pas. Allons, donne donc le gâteau à ce jeune homme."
La vieille femme s'avança et tendit une assiette à Lewis. La part de gâteau était couvert d'un glaçage. Il n'avait pas l'air mauvais. Méfiant mais poli, Lewis prit une bouchée. Il commença à mâcher.
"Vous suivez toujours la même recette ? l'interrogea sa maîtresse. Pour le Prunolat ?
-Mais ce n'est pas un Prunolat, la reprit la cuisinière.
-Lequel est-ce, alors ?
-Une vieille recette que j'ai trouvé dans un placard."
Lewis avala. Mais il lui sembla avoir avalé de travers. Il commença à se sentir mal.
"C'est le..."
La douleur passa. Alors, le garçon remarqua que le sol s'éloignait de plus en plus. Les deux femmes le fixèrent avec effroi. Bientôt, Lewis dût se baisser pour ne pas se cogner la tête contre le plafond. Puis comme il n'y avait plus de place pour ses jambes il s'assit. Mais il continuait de grandir. La maîtresse de maison et son employée se sauvèrent. Le jeune garçon entendit les cris des autres membres du personnel. Il grandit tant et si bien qu'au bout d'un moment il était recroquevillé sur lui-même. Mais il n'avait pas fini de grandir. Il dût étendre les jambes. Sa tête passa au travers du plafond. Le visage de Lewis était face à la fenêtre de la pièce à l'étage. Les battants étaient ouverts. Il devina ensuite qu'il avait arrêté de grandir. Il sentait ses bras le long de son corps, cependant il n'avait pas d'idée précise concernant le lieu où pouvaient se trouver ses jambes. Il vit alors le haut d'une échelle se poser sur le rebord de la fenêtre. C'était Bill, le lézard, qui grimpait à cette échelle. Lorsqu'il vit Lewis, il soupira, désespéré.
"Pas encore...pas encore !"
Il descendit aussi vite qu'il était monté. Le garçon l'entendit encore se lamenter en bas. Quelqu'un d'autre grimpa. C'était le Loir. Celui-ci rit en reconnaissant Lewis.
"Tu as drôlement grandi dis-moi ! Hein petit. Hi hi hi...
-Je ne trouve pas ça amusant.
-Je trouve qu'il y a de quoi rire. J'ai bien fait de te demander de rester discret. Tu as mangé du Gargatoa, pas vrai ?
-Je sais juste que j'ai mangé une part de gâteau.
-C'est bien ce que je dis, petit. Tu peux bouger ?
-Si je bouge, je risque de faire s'effondrer la maison.
-Bon, je vois...Il va nous falloir de la Rapetipotion. Mais je ne n'en ai pas sur moi...Écoute, je vais retourner chez le Lièvre. Et je reviendrai pour te sortir de là.
-Faites vite, le pria Lewis tandis qu'il redescendait."
Il fallait bien admettre qu'être gigantesque et coincé dans une maison n'était pas très confortable. Soudain, il sentit une douleur dans son pied gauche, comme s'il s'était piqué. Lewis grimaça et donna un coup du même pied. Il comprit qu'il avait repoussé quelque chose. Plutôt quelqu'un car il avait entendu des gémissement et les cris des autres personnes alarmées. Il se crispa de nouveau. On venait d'extraire l'objet pointu de son pied. Mais au fait, le "gâteau qui fait grandir" ne lui était pas si inconnu. S'il avait su, il n'en aurait pas tant mangé. Il n'en aurait pas mangé. Une demi-heure plus tard (enfin il lui semblait), le Loir revint sur l'épaule du Chapelier qui grimpa à l'échelle. Lequel sembla trouver la situation tout à fait ordinaire.
"Enfin vous voilà, se plaignit Lewis.
-Estime toi heureux que je l'ai croisé sur le chemin, se défendit le Loir. Il ne s'était même pas rendu compte qu'il repartait sans toi.
-J'espère seulement que je pourrais retrouver ma taille. Je me sens à l'étroit dans cette maison.
-C'est pourtant une grande maison, fit remarquer le Chapelier.
-Pour un aussi grand garçon, répliqua Lewis avec impatience. Maintenant sortez-moi d'ici !
-Du calme. J'ai ce qu'il te faut."
Il sortit une petite fiole d'une poche de sa veste. Lewis arrivait à peine à la voir tant elle lui semblait minuscule.
"Voilà, continua-t-il en la débouchant. Ouvre la bouche."
Le garçon s'exécuta, non sans se cogner le menton contre le plancher. Le chapelier vida la fiole et Lewis avala. Cette fois-ci, il ne sentit rien. Pendant un moment, rien ne se produisit. La dernière fois, la potion avait agi immédiatement. Puis, brusquement, dans un hoquet, le jeune garçon recouvrit sa taille et tomba lourdement sur le sol du salon. Il remarqua alors deux immenses ouvertures proches l'une de l'autre dans la façade. C'était sans doute ses jambes qui, en grandissant, avaient détruit une partie de la cloison. Quelques têtes se risquèrent par ces ouvertures. Le Chapelier s'avança parmi les décombres sans hésiter un instant. Il releva Lewis calmement.
"Alors, comment te sens-tu ?
-Un peu chamboulé, admit le garçon.
-Alors tout va pour le mieux. Cependant, je pense qu'il serait préférable de nous en aller. Tu sais, avant qu'elle ne revienne.
-Qui ça ?
-Eh bien, celle qui vit ici. Je pense qu'elle serait très contrariée si elle voyait..."
Il leva la tête vers l'énorme trou du plafond avec une expression embêtée.
"Ne nous attardons pas."
Ils ressortirent tout deux en pressant le pas. Le Loir les regarda surpris.
"Mais, où allez-vous ?
-Tu m'excuseras, le Loir, mais il vaut mieux que nous prenions congés.
-Alors à bientôt, si l'avenir veut que nous nous recroisions !
-À bientôt mon ami !"
Il disparurent pour de bon dans les bois.
"Où allons-nous maintenant ? l'interrogea Lewis bien que cela ne lui importe pas tant.
-Chez la reine."
En revanche, cette destination le préoccupait beaucoup plus.
"Je pense qu'il ne faut plus qu'on traine. Il faut qu'on récupère la clé, puis qu'on retrouve l'emplacement de la porte. Et ni l'un ni l'autre ne sera évident.
-Vous ne vous souvenez pas de l'endroit où elle se trouve ?
-Elle change d'endroit. Toutes les trente lunes environ. J'ignore si elle est au même emplacement à présent.
-Comment ferons-nous pour la trouver ?
-Je connais quelqu'un qui possède une carte similaire à celle que la reine possède. Nous passerons voir cette personne avant de nous rendre au château.
-Très bien."
Ils restèrent un moment silencieux.
"J'espère que nous ne nous ferons pas repérer. Il doit y avoir des gardes déployés partout dans le pays.
-Ne finira-t-elle pas par m'oublier ?
-Quand tu seras trop âgé pour l'intéresser.
-Pourquoi ? Qu'est-ce qui l'intéresse tant chez les enfants ?
-Mais si tu attends ce temps là, tu ne pourras pas repasser par la porte.
-Chapelier, répondez-moi.
-Et tu seras coincé ici.
-Chapelier, insista Lewis qui commençait à s'inquiéter.
-Pour toujours, continua-t-il toujours sans regarder le garçon.
-Vous m'entendez ?
-Seul.
-Chapelier...
-Avec le sentiment que tout cela était très évitable."
Étrangement, cette phrase faisait remonter un sentiment de culpabilité chez le jeune garçon. C'est vrai, tout cela était très évitable. S'il avait parlé à ses parents, peut-être aurait-il évité cette situation.
"Et que jamais plus rien...ne sera comme avant."

LewisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant