CHAPITRE VI

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Des bruits de vaisselle cassée réveillèrent Lewis. Il se redressa et tendit l'oreille. Les bruits venaient d'en bas. Le garçon s'assit sur son lit et se passa une main sur la figure. Que s'était-il passé déjà ? Ah oui...le marais, le chapelier... Ça lui était revenu. Lewis se décida enfin à se lever. Il portait toujours les même habits depuis sa fugue. Pourquoi en prenait-il conscience seulement à cet instant. Il descendit l'escalier d'un pas lourd, encore ensommeillé. En bas, il n'y avait qu'une grande pièce à tout faire. Le salon dans un coin, la cuisine à l'opposer, et une petite salle à manger avec une chaise de bois et une table ronde elle aussi en bois. Le chapelier était installé dans la cuisine sur un tabouret, tournant le dos à Lewis. Devant lui, un baquet rempli d'eau dans lequel il faisait la vaisselle. À sa droite, des assiettes sales empilées, à sa gauche, un petit tas de vaisselle cassée.
Il finit d'essuyer une assiette et la lâcha aussitôt sur le sol, rajoutant de nouveaux morceaux à la pile d'assiettes brisées. Il murmurait quelque chose. Lewis ne comprenait pas ce qu'il disait mais il comprenait qu'il répétait la même chose en boucle. Le garçon, quelque peu inquiet, s'approcha lentement, sans faire de bruit.
"Chapelier, l'appela-t-il doucement.
-Hein ? Oh c'est toi, tu as bien dormi ? lui demanda-t-il souriant.
-Bien, mais je crois que vous avez cassé quelques assiettes."
Le chapelier baissa la tête. Il parut d'abord surpris puis se mit à rire.
"Tu as raison ! J'ai cassé presque la moitié de ma vaisselle ! Mais où ais-je la tête... Oh quelle question ! Il y a longtemps que je n'ai plus ma tête ! Ah,ah..."
Son comportement inquiétait Lewis. Il agissait étrangement. Enfin, il l'avait tout de même sauvé et recueilli. Mais...
"Vous voulez que je vous aide à nettoyer ? demanda timidement le garçon.
-Non ! Ne te dérange pas pour si peu ! Je vais ramasser tout ça et..."
Le chapelier leva la tête, les yeux écarquillés. Son visage pris une expression furieuse. Il avait les cheveux en bataille. Il se leva enragé, fouilla les tiroirs de la cuisine, râlant quand l'un d'entre eux rechigna à s'ouvrir. Puis il se jeta sur une étagère et empoigna une paire de ciseaux. Il se précipita dehors. Lewis avait suivi la scène avec stupéfaction. Il se risqua à la fenêtre. Le chapelier était affalé sur le sol, tournant la tête de tous les côtés, furieux. Il se releva en un instant. Il tenait sa paire de ciseaux pointée vers le bas, comme un couteau. Soudain il se jeta en avant. Lewis regarda attentivement, cherchant à comprendre ce qui le mettait dans cet état. Une petite boule de fourrure blanche bondit juste avant d'être touchée par la pointe des ciseaux.
"Le lapin ?"
C'était bien lui, il avait toujours le même collier ornée d'un grelot. Ce devait être ce bruit qui avait interloqué le chapelier avant qu'il ne commence à s'énerver. D'ailleurs, pourquoi s'emporter pour ce lapin ? Enfin, pourquoi le chapelier le devait-il ? Lewis, lui, avait toutes les raisons du monde d'en vouloir à ce lapin. Cette sale bête qui l'avait attiré ici. Le chapelier était furieux. Sitôt qu'il était à terre il se relevait. Le lapin lui échappait de justesse à chaque fois. Le chapelier hurlait.
"Vas-tu cesser ? Ordure ! Viens par-là que je te transperce la panse !"
Il parlait tellement vite que Lewis ne compris pas à quels moments il reprenait son souffle.
"Espèce de boule de fourrure à grande oreilles, si je t'attrape je t'ouvre le ventre je sors tes tripes je les fait frire et je prends ta peau pour en faire un chapeau ! Enflure, ta blancheur équivaut aux tâches d'un champignon vénéneux ! Viens ici que je t'ouvre en deux !"
Lewis s'accrochait malgré lui au rebord de la fenêtre. Il n'aurait jamais cru que cet homme aurait pu devenir aussi agressif. Les yeux du chapelier dansaient avec une lueur de rage. Le lapin disparut derrière un buisson, échappant une nouvelle fois à la paire de ciseaux. Le chapelier était affalé sur le sol. Il reprit son souffle avant de se relever lentement, agacé mais soulagé. Lewis ouvrit la porte et passa prudemment sa tête à l'extérieur. Le chapelier se retourna et compris alors qu'il avait assister à la scène.
"Mon garçon, dit-il en souriant, nous avons un problème.
-Lequel ? Demanda Lewis, toujours un peu effaré.
-Je crois que la reine sait que tu es là."
Il fit mine de rentrer avant de se rendre compte qu'il avait perdu son chapeau, tombé à terre. Il le ramassa et retourna dans la maison avec Lewis. Le chapelier retourna s'asseoir sur le tabouret et acheva de laver les assiettes comme si de rien n'était. Le garçon hésitait à l'interroger. Il ne comprenait pas sa façon d'agir ou plutôt de réagir.
"Eum...Chapelier ? demanda-t-il enfin.
-Oui mon garçon, qu'y a-t-il ?
-La reine, que va-t-elle faire, si elle sait que je suis là ?
-Je n'en sais rien petit marcassin, mais en tout cas ça ne nous arrange pas. Mais ne te fais pas de soucis.
-Et...aussi...
-Je t'écoute.
-Que s'est-il passé ? Dehors, qu'est-ce qui vous a pris ?
-Comment ça ? fit-il sans comprendre, toujours souriant.
-Vous...vous...vous étiez..., bafouilla Lewis qui commençait à s'emporter. D'abord vous lavez des assiettes que vous détruisez ensuite sans que vous ayez l'air de vous en rendre compte et...et puis soudain...vous, vous devenez furieux et tentez de tuer un lapin avec une paire de ciseaux ! Vous êtes...vous êtes fou !"
Brusquement, un souvenir lui revint. Cela faisait longtemps qu'il n'y pensais plus. Cette nuit, il pleuvait n'est-ce pas ? C'est pour ça qu'il l'avait faite entrer complètement trempée. Elle semblait désorientée, alerte. Ses yeux étaient écarquillés. Il ne se souvenait pas qu'elle ai cligné des yeux d'ailleurs, lorsqu'elle lui avait tout raconter. Puis ils l'ont emmenée, parce que personne ne la croyait. Parce que ce n'était pas croyable. Et pourtant, Alice avait raison. Lewis n'avait pas tout de suite fait le rapprochement car il était assez jeune à cette époque et cela s'était passé il y a si longtemps pour lui. Les détails lui revenaient peu à peu. Alice avait parlé d'une "méchante femme en rouge", il lui semblait. Et aussi...
"Elle m'a parlé de vous...murmura-t-il.
-Comment, que dis-tu ?
-Chapelier, est-ce que vous...est-ce qu'une fille est déjà venu ici ?"
Le chapelier prit une expression intéressée et anxieuse à la fois. Il se leva et s'approcha du garçon.
"Une fille...Comment ? De quelle âge ?
-Je, je ne sais plus. Des cheveux blonds vénitiens et... elle devait avoir six ou sept ans. Elle s'appelait Alice.
-Alice..."
Il se laissa tomber à genoux et sourit.
"Elle en a réchappé..."
Il posa son regard sur Lewis.
"Tu la connaissais ? reprit-il
-Oui, nous étions amis, expliqua le garçon.
-Et maintenant où est-elle ?
-Quand elle est revenue, elle a parlé de cette endroit. Mais personne ne l'a cru et comme elle s'obstinait...
-Quoi ? Que s'est-il passé ?
-Ma mère m'a dit qu'elle partait dans un pensionnat pour voir des médecins. Mais aujourd'hui j'ai comprit qu'il l'avait envoyé en hôpital psychiatrique.
-Ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible, envoyer un enfant, une gamine en hôpital psychiatrique ! s'exclama-t-il. Mais comment voulez vous que des fous soignent des fous ! Une gamine en hôpital psychiatrique ! C'est inhumain ! C'est tordu ! Et la pauvre petite, si adorable, si gentille. Enfin...ça ne se peut pas. Et si attentionnée, elle ne méritait pas ça, c'est ma faute...si je ne m'étais pas emporté...elle serait toujours vivante...elle devait pas mourrir..."
Il enfouit son visage dans ses mains et se mit à pleurer. Le jeune garçon ne comprit pas. Il ne parlait plus d'Alice. Elle n'était pas morte. Bien qu'en vérité, Lewis n'a plus jamais eu de nouvelle depuis son départ. Et admettons que, comment le chapelier l'aurait-il su ? Il reporta son attention sur celui-ci. Le pauvre semblait complètement abattu. Lewis posa une main sur son épaule.
"S'il vous plait reprenez-vous.
-Hein ? Oh, oui...tu as raison. Mais, elle a pu s'en sortir au moins. Mes efforts n'ont pas été vains pour elle."
Il regarda Lewis avec confiance et gentillesse.
"Je vais donc faire tout ce que je peux pour toi."

LewisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant