CHAPITRE XIV

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Les rires s'étaient estompés. Personne ne semblait remarquer l'air boulversé de Lewis. Il lui semblait n'avoir passé que quelques jours ici. Mais si le temps s'écoulait différemment, cela pouvait bien faire des mois, voire des années. Ses parents devaient être morts d'inquiétude. Sa pauvre mère qui devait se lamenter en comprenant sa fugue. Elle devait penser que c'était de sa faute. Lewis avait envie de hurler qu'il était seul responsable pour qu'elle entende. Mais il savait que cela serait inutile. Tandis qu'il laissait dériver son regard sur les alentours, il remarqua une petite boule de fourrure blanche. Reconnaissant le lapin, il donna un léger coup de coude au Chapelier et lui fit signe de regarder. Les cheveux de l'homme devinrent hirsutes. L'animal découvert s'enfuit.
"Sûrement pas ! gronda le Chapelier en s'emparant d'une théière."
Dans l'instant qui suivit, il jeta l'objet qui passa par-dessus le buisson. On l'entendit se briser dans un bruit sourd. Aussitôt, le Chapelier s'élança vers les fourrés et en ressortit en tenant le lapin par une patte arrière. L'animal était un peu sonné.
"Joli lancé, le complimenta le Lièvre.
-Cette fois, il n'est pas allé bien loin, dit le Loir en couinant. Hic ! Pauvre lapin ! Petit petit petit lapin blanc...
-Maintenant il est temps de régler des comptes, déclara le Chapelier."
Le lapin avait retrouvé ses esprits et tremblait de terreur.
"Alors, lâche ! poursuivit-il en le secouant, ce qui fit retentir le grelot. Qu'est-ce que tu as à dire pour ta défense ? Tu penses que je te trouve mignon ! Tu penses que quiconque ici a pitié de toi ! Alors ?"
Le lapin réussit à échapper à son emprise et tandis qu'il tombait en tournant sur lui même, il changea d'apparence. Lorsqu'il retomba au sol, il était devenu plus gros et portait un gilet rouge. Il avait une expression paniqué mais ne semblait pas chercher à fuir.
"Je...je ne suis pas une mauvaise personne, balbutia-t-il. Je...
-Alors tu vas me dire que tu n'y es pour rien dans tout ça ! hurla le Chapelier dont la chevelure ne ressemblait plus à ce qu'elle était. Que tu es un être bon et plein de bonne volonté !
-Je...je ne fais qu'obéir...
-Tu n'es qu'un lâche ! Ordure ! Je devrais t'ouvrir en deux et t'accrocher par les tripes devant le château de ta maîtresse !
-Mais enfin, rappelles-toi que...
-Que quoi ? Que tu as attendu quinze minutes avant de leur signaler ma disparition ! Tu m'avais promis...
-Je ne pouvais faire mieux...
-La meilleur chose à faire aurait été de ne jamais nous entraîner ici ! Tu n'as aucune excuse ! Je suis fou mais pas sot !
-Je ne pouvais rien faire pour elle...
-Si tu n'avais pas été là, elle serait vivante ! Elle ne serait pas morte pour moi !
-Je suis navré, mais...
-Mais grâce à elle, je suis là ! Et j'ai pu sauver la vie de deux enfants de la folie de la reine ! Tandis que toi tu les conduisais à leur mort !
-Je suis désolé. Mais si je désobéis à la reine...elle me fera trancher la tête..."
Le lapin regarda rapidement sa montre et s'affola soudain.
"Ciel, je suis en retard ! Je vous en prie, laissez-moi partir. J'ai une course très importante à faire.
-Pour que tu puisses prévenir la Reine de l'endroit où se trouve Lewis ! Je ne crois pas monsieur !
-Du calme Chapelier, le pria le Loir d'une voix ensommeillée.
-Je suis très calme ! Et cette saleté de lapin sait à quoi je ressemble lorsque je suis en colère !
-Pitié, je vous promets de ne rien révéler...si vous me laissez partir maintenant je pourrais espérer être dans les temps et ainsi la reine ne me posera pas de questions..."
Le Chapelier réfléchit un instant. Ses cheveux retombèrent.
"Disparais d'ici et tâche de tenir ta promesse."
À ces mots, le Lapin disparut derrière les fourrés. Le Loir s'était endormi. Le Chapelier se rassit. Et le Lièvre faisait comme si de rien n'était. Quant à Lewis, il réfléchissait. Ce n'était pas la première fois que le Chapelier mentionnait une "elle" dans ses propos. Le garçon rassembla les détails dans son esprit et parvint à une conclusion. Le Chapelier n'était pas arrivé seul ici. Il devait être accompagné d'une autre personne, une fille s'il se fiait au "elle". Cette "elle" s'était sacrifiée pour le sauver. Cependant, Lewis ne savait pas de qui il parlait. Il aurait aimé poser des questions au Chapelier mais celui-ci ne semblait pas disposé à prendre la parole. Une heure passa. Mais qu'est-ce qu'une heure dans ce pays ? Tout ce que le garçon savait, c'est qu'il avait dessiné durant cette période qui semblait durer une heure. Il s'était assis dans l'herbe. Alors qu'il achevait son croquis, Lewis sentit un poids sur son épaule.
C'était le Loir.
"Mais c'est très joli ! dit-il joyeusement. Là, c'est la maison de Lièvre. Là la table. Il y a même les tasses et la théière. Tu es très doué !
-Merci. J'aime beaucoup le dessin. Mais les autres garçons que mes parents me présentent trouvent ça embêtant.
-Pff ! Pas de fleurs pour ceux qui mangent des tiges ! Ne t'occupe pas de ceux-là ! Tu dessines très bien et je suis persuadé qu'ils seraient très contents de pouvoir faire la même chose !
-Oui, peut-être. De toute façon je ne m'en préoccupe pas vraiment. Mais je pense que mes parents préféreraient que je sois comme eux.
-Les autres ? Mais qu'est-ce qu'ils ont de si intéressant ?
-Eh bien, ils font de bonnes études, viennent de bonne famille, ils...
-Je te demande ce qu'ils ont d'intéressant."
Il sauta à terre et se posta devant le garçon.
"Toi, tu dessines. Tu es curieux. Calme mais tellement expressif. En fait, tu ressembles à Alice. Une fille très curieuse et très expressive aussi...moins calme cependant...et plus expressive.
-Alice, elle, s'intéressait à ce que je faisais. Elle, c'était une véritable amie.
-Bien vrai."
Le Loir se tourna du côté de la table. Le Lièvre finissait l'assiette de biscuits et le Chapelier regardait fixement devant lui tout en versant du thé dans une tasse qui débordait depuis un moment.
"Eh, si on allait se promener un peu, lui proposa-t-il. Je voudrais rendre une visite à un ami.
-Je ne sais pas si c'est prudent...
-Ce n'est pas parce que je suis de petite taille que je suis incapable de te défendre. Allez viens."
Il partit sans attendre de réponse. Lewis se contenta alors de le suivre.
"Ne te fais pas trop remarquer, l'avertit l'animal. Mon ami travaille chez quelqu'un. Et la maîtresse de maison n'est pas très commode.
-Très bien, je ferais attention.
-Nous ne sommes plus très loin. Je reconnais l'endroit."
Plus tard, ils arrivèrent devant une grande maison. Quelques personnes s'affairaient dehors. Même si dans ce cas il s'agissait surtout d'animaux. Le Loir se dirigea vers un lézard, aussi grand que lui.
"Tiens, le Loir ! s'exclama-t-il.
-Bonjour Bill, le salua le Loir en retour.
-Qu'est-ce qu...bonté divine qui est-ce ? Il vient voir...
-Non, non. C'est Lewis. Il ne veut déranger personne.
-Desolé...Je m'excuse mon garçon. Mais il y a un moment que j'ai quitté mon ancien travail à cause d'un...événement particulier. Et...tu m'y fais penser.
-Ce n'est rien, le rassura Lewis.
-Allons donc ! reprit le Loir. Bill, je viens aux nouvelles. Alors ?
-Une lettre est arrivée tout à l'heure, du palais, dit-il tout bas.
-Mais je croyais qu'elle était brouillée avec la reine.
-C'est pour ça que c'est étrange. C'est une invitation...
-Quoi donc ! Vous ne travaillez pas !"
C'était une femme qui venait d'hurler. Elle avait des cheveux gris attachés en chignon et des lunettes rondes. Elle portait un tablier par-dessus sa robe beige. En l'entendant Bill s'était éloigné et le Loir s'était sauvé. Au moment où Lewis comptait s'éclipser, la vieille femme lui attrapa l'oreille.
"Ne vous défilez pas, Mabel. Vous retournez en cuisine.
-Mais je ne suis pas...
-Silence ! Vous allez m'aider. Dépêchons."
La femme, qui était cuisinière, entraîna Lewis dans la cuisine. En entrant, Lewis éternua tant qu'il en pleura.
"Mais qu'est-ce que c'est que cet odeur ? fit-il entre deux éternuement.
-Quelle odeur ?
-Ça sent...le poivre...
-Et alors, le poivre c'est bon pour tout ! Au travail !"

LewisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant