CHAPITRE X

27 2 2
                                    

Lewis était piégé entre quatre cloisons de bois. Les mains liées dans le dos, les pieds attachés et une corde dans la bouche étouffant ses cris et l'empêchant de parler. William était en train de clouer des planches par-dessus la seule fenêtre de la pièce. Il accomplissait l'action sans dire un mot, se contentait d'enfoncer les clous avec son marteau. Comme prit de remords, il tenta de se justifier.
"Je suis désolé, dit-il, vraiment. Mais je ne peux pas te laisser raconter se que tu as vu à d'autres. Mêmes si ça ne changerait rien dans ce village. Ces cervelles d'huîtres n'ont pas de mémoire. Ils ne se rendent jamais compte quand quelqu'un disparaît. Quels idiots. Quelles idiotes. Enfin, qui me dit que tu ne trouveras pas quelqu'un d'autre pour l'amener ici. Personne ne vient ici."
Pendant qu'il parlait, Lewis tentait de défaire ses liens. En vain. Utiliser la force ne le menait à rien. Il fit donc le choix de réfléchir. Cet homme paraissait tourmenté. Tout comme le chapelier. Et pourtant, ce dernier n'avait pas été mauvais pour lui, loin de là. Peut-être que William aussi avait un bon fond. Il cessa donc de s'agiter. William maniait bien son marteau et semblait plutôt à l'aise. Quand enfin il eut finit de poser la dernière planche, il s'adossa contre le mur.
"Mais t'en fais pas, je te laisserai pas mourir de faim gamin. C'est juste que...je ne veux pas que tu racontes mon secret."
Lewis secoua la tête en signe de négation.
"Attends... Tu serais prêt à garder le silence ?
Le garçon hocha la tête.
"Si je te détache, tu ne vas pas hurler à la mort, hein ?"
Il acquiesça et William lui ôta la corde qu'il avait entre les dents.
"Merci, c'était très désagréable. Maintenant, puis-je vous poser une question ?
-Je t'en prie, agréa l'homme.
-Pourquoi vous cacher ce morse chez vous ?
-Eh bien...parce que je n'ai pas le choix.
-Pourquoi vous ne partez pas ? Vous pourriez le laisser là.
-Tu ne comprends pas, s'emporta William. Cet animal est un monstre ! Une créature qui ne vit que pour manger ! Et le poisson ne lui suffit plus ! Les cochons, les moutons il les avale d'une traite ! Alors quand il a goûté à la chaire humaine, il en a voulu plus !
-Pourquoi vous n'arrêtez pas ?
-Cette bête pourrait me tuer !
-Pourquoi vous ne demandez pas de l'aide à quelqu'un pour vous en débarrasser ?
-Parce que je ne veux pas le tuer ! Je ne veux pas non plus, le laisser mourir de faim...
-....Pourquoi ? hurla Lewis. Ce monstre a voulu me manger et serait prêt à faire de même avec vous !
-Non...pas moi. Il ne me fera jamais de mal.
-Qu'est-ce qui l'en empêche ? Vous avez bien dit qu'il pourrait vous tuer, reprit-t-il plus calmement mais toujours avec fermeté.
-Il ne le fera pas, insista l'homme en sortant une feuille de sa poche."
Lewis reconnut le dessin qu'il tenait dans ses mains tremblantes.
"Vous n'êtes pas obligé...Vous pourriez avoir une meilleure vie...
-Mais j'ai pas le choix ! cria William dans un accès de rage. Je voulais pas de cette vie. Moi, je voulais devenir charpentier...comme mon père...Mais, mais non ! Il a fallut que, que je m'embarque dans une sale embrouille ! Et pour qui ? Pour lui ! Pour ce monstre qui bouffe toute la journée !"
Il fixait le dessin comme s'il voulait le voir brûler dans ses mains.
"Et pour cette, cette, cette lâcheuse ! Qui m'a laissé tomber ! Et maintenant, toute ma vie est foutue ! À cause de ma propre famille !"
William réalisa alors ce qu'il venait de dire. Il était comme pétrifié.
"Non, se reprit-il, ce n'est pas ce que...enfin...
-Attendez, l'interrompit Lewis. Votre...famille. Vous voulez dire que c'est votre famille qui vous a confié cet animal.
-Non, non c'est...c'est compliqué.
-Ce n'est pas grave. Écoutez, je ne viens pas d'ici. Et je dois quitter ce pays, aussi tôt que possible. J'ai besoin d'aide.
-Tu veux partir...Tu as besoin d'aide. Je...je ne peux pas t'aider. Mais...non. Tu me fais perdre mon temps."
William passa la porte et disparut, laissant Lewis seul dans cette pièce. Le garçon avait d'ailleurs compris après observations, qu'il s'agissait d'une chambre. Les heures passèrent. Le soir venu, Lewis qui somnolait se redressa en entendant des rires de jeunes filles. Au début, il n'y prêta pas vraiment attention. Puis les cris suivirent et dès lors il réalisa. Il entendit une course et comprit que quelqu'un s'enfuyait. Puis le garçon perçut les vibrations du sol et les interpréta comme la chute de cette personne. Cette chute fut suivie de cris et de pleurs. Lewis comprenait sans voir. William trainait une jeune fille qui tentait de s'enfuir pour la donner en pâture au morse. Quelques instants après, alors que l'on entendait encore l'animal dévorer ses victimes, William déboula dans la chambre, en sueur. Son regard se tourna vers le garçon. Mais celui-ci ne lui renvoya qu'un regard effrayé et culpabilisant.
"Tu as raison, soupira l'homme. Je ne veux plus de cette vie. Je vais t'aider."

LewisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant