CHAPITRE XVIII

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Lewis recouvra ses sens. Il sentit le tissu grossier dans lequel il était enveloppé. Il entendit le bruit sourd des roues du véhicule qui le transportait. En revanche, lorsqu'il ouvrit les yeux, il ne vit rien. Le noir complet. Où était-il ? Dans un sac surement. Que c'était-il passé déjà ? Son dernier souvenir avait été le mouchoir imprégné d'un liquide qu'on lui avait plaqué sur le nez et la bouche. Il devait se rappeler de ce qu'il c'était passé avant. Voyons... Ah oui ! Holly, la serveuse.
"Vous êtes impliquée dans cette affaire ?"
La vieille tenancière.
"Oui. C'est moi. J'ai mis de la passiflore rouge dans son verre."
Le Chapelier qui s'était évanouit.
"Mais pourquoi ?
-Contrairement à toi, je peux me permettre d'aller dans les grandes villes. Les gardes de la reine cherchent un jeune garçon brun aux cheveux bouclés avec des yeux noisettes.
-Mais qu'est-ce qu'elle lui veut ?
-Peut importe. Ce gamin et le type qui l'accompagne iront au Château Rouge.
-Non, vous n'avez pas le droit !"
Ce fut la dernière chose qu'il avait entendu. Combien de temps était-il resté inconscient ? Il sentit qu'on le soulevait. Il fut transporté pendant un moment. Puis il se retrouva la tête en bas avant d'atterrir sur le sol froid et humide. Il vit le garde refermer la porte à clé. Il était dans une prison. Le garde repartit sans dire un mot. Lewis se frotta la tête à l'endroit où il s'était cogné. À présent il avait les idées en place et prenait enfin conscience de la situation. Il était dans les cachots de la reine.
"On a dormi pendant longtemps, pas vrai."
Lewis remarqua enfin le Chapelier dans la cellule d'en face. Il portait des chaînes.
"Deux levés de soleil je crois.
-Vraiment ? fit Lewis surpris que tant de temps ce soit écoulé.
-Pardonne-moi, j'aurais dû être plus méfiant."
Le garçon brun remarqua alors que quelqu'un sanglotait. Cela venait de la cellule à droite de celle du Chapelier. À première vue, c'était un veau. Mais lorsqu'il regarda mieux, il s'aperçut que la tête bovine reposait sur un corps de tortue de mer. La créature pleurait. Il y avait un griffon avec elle. Ils étaient tous les deux enchaînés.
"Ce n'est pas votre faute, moi non plus je n'ai rien soupçonné, admit le garçon.
-Pourquoi vous êtes ici ? demanda le griffon.
-La reine cherche le petit, répondit le Chapelier en enfonçant son chapeau sur ses yeux.
-Et qu'est-ce qu'il a fait pour ça ?
-Est-ce que suivre un lapin blanc vous suffit comme réponse.
-Amplement. C'était stupide. Comme si la reine avait besoin de motifs pour arrêter qui que ce soit."
Il fut interrompu par le long cri désespéré de la tortue. Enfin, de la fausse tortue.
"Pourquoi pleure-t-il comme ça ? demanda Lewis au griffon.
-Il pleure tout le temps.
-La reine!... s'exclama la tortue dans un cri déchirant. Nous fera...couper la tête !..."
Et elle se remit à pleurer en cachant sa figure entre ses pattes.
"Et vous pourquoi vous êtes ici ?
-La Tortue a pleurer sur une robe destiné à la reine. Ça nous a valut d'être enfermé.
-C'est...ma faute...si tu es là, bégaya la Tortue.
-Mais non voyons.
-Si je...n'avais pas eu besoin...de m'arrêter...nous serions en terre Blanche à l'heure qu'il est...
-Cesse de te lamenter, nous n'y pouvons rien."
La Tortue n'en pleura que davantage. Les minutes défilèrent. Le Chapelier finit par s'endormir, son chapeau sur les yeux. Lewis était beaucoup trop anxieux pour faire de même. À tout moment, un garde pouvait débarquer pour venir le chercher.
"Tu sembles en mauvaise posture."
Le sourire de l'animal qui venait d'apparaître commençait maintenant à devenir familier.
"Bonjour le Chat."
Seule la tête de l'animal était visible.
"Tu en est bien certain ?
-Peu importe. Cet information ne me sers à rien ici et maintenant.
-Je dois avouer que c'est vrai. Et que comptes-tu faire ?
-Comme si je pouvais faire quelque chose.
-Je tiens juste à ce que tu constates que tu ne portes pas de chaîne.
-Je sais. Et alors.
-Et d'ailleurs tu ne portes pas de chêne non plus.
-Vous l'avez déjà dit.
-Il y a une différence entre un chêne et une chaîne.
-Chêne ou chaîne cela ne change rien, gronda Lewis. Cela change autant ce que j'entends que ce que je vis en ce moment.
-Du calme. Il commence à déteindre sur toi, fit-il en désignant le Chapelier.
-Qu'est-ce que vous insinuez ?
-Qu'à force de rester parmi nous tu va finir par perdre la tête. C'est d'ailleurs valable dans les deux sens du terme.
-Et j'imagine que vous n'y pouvez rien.
-Habituellement, je ne me mêle pas des histoires des autres."
Le reste de son corps apparu. Un trousseau de clés pendait aux griffes de sa patte arrière.
"Mais je veux bien faire une exception."

"Non plus."
C'était la troisième clé qu'il essayait. Le Chat avait disparu. Un garde pouvait surgir n'importe quand. Lewis devait faire vite. Quatrième clé. Elle rentrait parfaitement dans la serrure. Le garçon soupira de soulagement lorsqu'il pût enfin déverrouiller la porte. Il sortit et entreprit de délivrer son ami qui se réveilla en entendant le grincement de la porte.
"Lewis, comment es-tu...
-Chut. Ce n'est pas important, l'interrompit-il en ôtant ses chaînes. Sortons de là.
-Bien joué marcassin, dit-il en se relevant."
Lewis ouvrit ensuite la cellule du Griffon et de la Tortue et les débarrassa de leurs liens.
"Oh, merci merci merci, fit la Tortue en se retenant de pleurer.
-C'est rien."
Lewis ne savait pas quoi faire du trousseau. Il s'était réveillé sans sa sacoche. Il le confia donc au Chapelier qui le rangea dans sa veste. Le garçon avait l'impression que tout et n'importe quoi pouvait se trouver dans les poches de ce vêtement.
"Attendez, il y a sûrement des gardes derrière la porte, les prévint le griffon.
-Que pouvons-nous faire ? soupira la Tortue qui déjà commençait à sangloter."
Le Chapelier fouilla ses poches et sembla soulagé lorsqu'il constata que le mouchoir avec les petites fleurs noires était toujours là.
"Nous allons faire diversion pour que vous sortiez, déclara l'animal ailé.
-Nous ! s'exclama la fausse tortue. Qu'entendez-vous par nous ? Parlez-vous de vous, ou parlez-vous de nous ?
-Je parle de nous.
-Oui mais ce "nous" vous comprend vous ainsi qu'un autre.
-Ce "nous" nous comprend moi et vous.
-C'est bien ce que je craignais...
-Ne craignez rien, je vous tiendrais entre mes serres. Nous ferons du bruit pour que les gardiens ouvrent la porte puis, dès que j'en ai l'occasion, je m'envole. Ils nous suivront pour nous rattraper et vous en profiterez pour sortir.
-Oh, j'ai peur...
-Très bien, nous ferons cela, conclut le Chapelier."
Le griffon se positionna, tenant la fausse tortue par les bords de sa carapace. Lewis et le Chapelier s'étaient postés chacun d'un côté de la porte. Ce plan d'évasion s'était fait avec une étrange rapidité. Enfin, tant qu'il fonctionnait. L'homme donna un grand coup. Rien. Il donna un second coup. On entendit cette fois la porte se déverrouiller.
"Tenez-vous prêts, avertit le griffon.
-Je ne veux pas voir ça, gémit la Tortue en rentrant dans sa carapace."
La porte s'ouvrit. Le griffon déploya ses ailes et s'envola, faisant voler les battants de la porte. Les deux autres qui étaient restés cachés entendirent les gardes leur courir après. Ils attendirent un instant avant de sortir.
"Bien, suis-moi."
Lewis ne se le fit pas répéter. Ils durent monter des escaliers avant d'arriver dans un couloir. Sol carrelé blanc et rouge. Des cœurs sur les murs. Comme ce décor l'oppressait à présent.
"Bon, on doit trouver le coffre où elle cache la clé.
-Vous savez où il se trouve ?
-Oui, ne t'en fais pas."
Ils parcoururent les couloirs. Enfin, le Chapelier sembla reconnaître une porte. Il se figea en la voyant.
"Qu'y a-t-il ? l'interrogea Lewis. C'est là ?"
L'homme hocha la tête. Ses cheveux se frisèrent.
"Vous vous sentez mal ?
-Je...je ne peux pas entrer là-dedans...
-Pourquoi ? La clé est à l'intérieur.
-Je suis désolé. Je...je ne peux pas t'accompagner. Je pensais que je pourrais...mais...
-Ce n'est pas grave, j'irais seul.
-Je suis désolé, répéta-t-il d'une voix étouffée. Je suis désolé.
-Ça va. Vous m'attendrez ?
-Je suis désolé..."
Lewis n'insista pas. Il ouvrit la porte et la referma avec précaution. La pièce paraissait assez lumineuse. Mais ce qu'elle contenait surpassait tout ce que Lewis avait vu jusqu'ici.

LewisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant