CHAPITRE XVII

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Comme le conflit entre les deux fleurs semblait parti pour durer, l'homme et le garçon avait reprit leur marche, toujours dans le même champ.
"Vraiment charmantes, tu ne trouves pas ? le questionna le Chapelier.
-Plus bavardes que celles de mes tantes.
-La mienne n'aimait pas les fleurs. Ses filles faisaient de l'allergie. Elles n'arrêtaient pas de m'embêter et de prendre mes affaires. Alors un jour avant qu'elles ne viennent, je suis sorti et j'ai ramené des paniers remplis de fleurs et j'en ai mis partout dans ma chambre. Dès qu'elles ont ouvert la porte, leur visage est devenu tout rouge et elles ont détalé comme des lapins."
Ils se mirent à rire tous les deux.
"Ma tante était furieuse. Je me serais fait grondé si ma..."
Il ne termina pas sa phrase. Son visage prit une expression nostalgique. Voire mélancolique. Ses cheveux, qui comme toujours traduisaient ses sentiments, retombèrent. Lewis, voyant la tristesse de son camarade, voulut passer à un autre sujet.
"Moi aussi j'ai des cousines qui m'embêtent, dit-il. Elles passent leur temps à fouiller dans mes affaires et à jouer dans mes cheveux. Mais elles sont un peu plus jeunes que moi, alors ma mère veut que je reste gentil avec elles.
-Elles ne partent pas avec tes affaires au moins ?
-Une fois, l'une d'elles avait emporté un de mes livres. Je ne crois pas qu'elle me l'ait rendu.
-J'espère que les cousines ne sont pas toutes comme ça..."
Le Chapelier s'approcha d'un petit massif de fleurs noires. Le garçon ne les avait même pas remarquées tant elles étaient petites. L'homme en prit quelques unes, les observa et les disposa sur un mouchoir qu'il plia avant de le ranger dans sa veste. Son air grave devint pensif.
"Qu'est-ce que c'est ? demanda Lewis.
-Oh, ça. Ce sont des fleurs.
-Et est-ce qu'elles servent à quelque chose ?
-Oui, oui. C'est pour mes teintures. Pour teindre mes tissus.
-Ah, d'accord."
Un chemin sablonneux commença à se distinguer du parterre herbu. Le paysage fleuri laissa place à des cultures de blé. Ou plutôt des espaces réservés à l'élevage du blé, lequel poussait sur des moutons noirs. Les gerbes dorées tombaient même sur leur yeux. Ils étaient plutôt mignons. Plus loin il y en avait d'autres avec de la fourrure, de couleurs multiples. Un couple qui s'affairaient à la tonte les saluèrent tandis que leurs enfants jouaient avec les agneaux. Tout laissait présager qu'ils approchaient d'un village. Un homme arrivait dans leur direction. Il dirigeait un bœuf rayé qui tirait une charrette pleine de foin. Lorsque celui-ci tira sur la corde, l'animal rugit en signe de mécontentement. Ils approchèrent enfin du village. Un grand village. Tout était paisible.
"Regarde comme ils ont l'air heureux, murmura le Chapelier. Ils ne savent pas ce qu'il se passe derrière les murs du château Rouge.
-La reine ne s'en prend pas aux enfants d'ici ?
-Elle s'est rapidement détourné des enfants de ce pays lorsqu'elle a compris que les autres lui apportaient plus.
-Plus de quoi ?
-C'est pour ça qu'elle envoie le lapin de l'autre côté du terrier."
Lewis ne tenta pas d'obtenir une réponse. Pas cette fois.
"La reine n'est pas cruelle envers ses propres sujets, conclut le garçon.
-J'ai dit qu'ils avaient l'air heureux, le reprit le Chapelier gravement. La reine n'a rien d'un être généreux. Elle n'épargne personne. Elle ne l'a jamais fait. Et ne le fera jamais. Les villageois vivent prudemment. Même si les soldats ne viennent pas souvent ici. Ils patrouillent surtout dans les grandes cités.
-C'est pour ça qu'ils sont tranquilles.
-Pour l'instant. Les habitants ont trouvés un moyen pour éviter les ennuis.
-Lequel ?
-Aucun chemin n'est pavé. Les rues des grandes villes et des villages plus important le sont.
-Et alors ?
-Tout les chemins sont à elles ou presque. La reine voit ceux qui empruntent les voies qu'elle a faites construire. Ne les emprunte jamais.
-D'accord."
En effet, lorsqu'il était arrivé dans le village où il avait rencontré William, Lewis avait emprunté un chemin pavé. C'était donc pour ça que les gardes étaient venus inspecter les lieux.
"Bon, je commence à avoir faim, déclara le Chapelier. L'ennui est que je n'ai pas un sou.
-C'est dommage, moi aussi je commence à avoir faim, se plaignit le garçon.
-Je n'ai jamais dit que je n'avais pas de quoi nous payer à manger."
Ils commencèrent alors à chercher un lieu où ils pourraient se restaurer. Les habitants paraissaient méfiants vis-à-vis des nouveaux arrivants. En effet, la crainte ne retombait jamais. Ils finirent par entrer dans une auberge. L'endroit semblait plutôt accueillant à première vue. Les gens discutaient, s'amusaient, mangeaient et buvaient. Un homme s'était endormi sur le comptoir. C'était une femme qui servait les boissons. D'ailleurs, il n'y avait que des femmes pour le service. Les deux garçons s'assirent à une table. Une femme brune vêtue d'une robe rouge se dirigea vers eux pour prendre leur commande. Ses cheveux étaient parsemés de petites perles blanches. Elle arborait une figure souriante.
"Alors, qu'est-ce que vous prendrez ?
-Je ne sais pas encore. Qu'est-ce que tu veux Lewis ?
-Eh bien..."
Difficile de faire un choix lorsque l'on ne comprend pas ce qu'on a sous les yeux. Lewis ne connaissait aucun plat de la carte et aucun ingrédient n'était présenté.
"Je comprends, il y a pas mal de choix.
-Peut-être que tu aimerais un krenka, suggéra la serveuse.
-Bonne idée, qu'en dis-tu ?
-D'accord, accepta le garçon brun sans même savoir à quoi cela pouvait ressembler."
La serveuse brune repartit. Elle revint plus tard avec deux assiettes.
"Bon appétit."
Lewis n'était pas sûr de trouver son repas appétissant. Il ne savait pas s'il devait voir les bons ou les mauvais aspects de ce plat.
"Qu'est-ce que c'est ?
-Tu ne connais pas. Pourtant tout le monde ici ah c'est vrai j'avais oublié. Ce sont des tentacules de poulpe fourrées au fromage de bibrioche.
-Au fromage de quoi ?
-Laisse tomber. Mange."
Le garçon découpa un morceau et l'avala. Ce n'était pas si mauvais tout compte fait. Entre les éclats de rire, les contestations et les discutions, il se concentra sur une conversation entre la serveuse et la tenancière de l'établissement qui devait avoir entre cinquante et soixante ans. Elle était très bien habillée et portait beaucoup de bijoux. Leur table étant proche du comptoir, il pouvait comprendre ce qu'elles disaient.
"Il ne dérange personne, dit la femme brune.
-Discute pas et vire-moi cet ivrogne. Ça rebute les clients de voir un type ivre-mort affalé sur le comptoir.
-Il ne serait pas dans cet état si on limitait les consommations, fit remarquer la serveuse.
-Oh, du calme. On sert tant qu'ils tiennent debout. C'est bien cet argent qui te paye.
-Oui. Mais ce n'est pas une raison. Cet homme a des problèmes et...
-Et alors, j'en ai rien à faire de sa vie. Et tant mieux pour nous s'il a des problèmes puisqu'il vient les oublier chez nous."
Elle prit un air sérieux.
"Holly, tu accordes trop d'importance aux clients et surtout à ce type d'ailleurs. Écoute, c'est dur pour toi. Mais t'as d'autres moyens pour faire peser ta bourse...
-Nous en avons déjà parlé, la coupa-t-elle. Jamais je ne ferais ça.
-Allons, regarde les autres. Elles ont beaucoup moins de mal à se payer des jolies robes.
-Je ne fais pas partie des autres, contesta-t-elle sèchement. Jamais, je ne m'abaisserai à ce qu'elles font.
-Qu'est-ce que tu vas faire. Elles rapportent plus que toi Holly. Tu ne seras bientôt plus rentable. Et quand tu ne vaudras plus rien et que je me serai débarrassée de toi, tu seras prête à tout pour remplir ta panse.
-Plutôt mourir de faim.
-C'est ce que tout le monde dit."
La tenancière finit par la laisser. La serveuse, qui apparemment s'appelait Holly, se dirigea vers l'homme endormi sur le comptoir et tenta de le réveiller doucement. Comme il commençait à avoir des hauts-le-coeur, Lewis cessa de manger. Au bout d'un moment, ce repas lui pesait sur l'estomac. Le Chapelier, lui, avait finit son assiette.
"Ah ! Ça fait du bien d'être rassasié.
-Je suis d'accord avec vous, consentit Lewis."
Une table plus loin, une serveuse entraîna un homme à l'étage.
"Rappelle moi ton âge.
-Vous ne me l'avez jamais demandé.
-L'important n'est pas la phrase mais le message qu'elle fait passer.
-J'ai treize ans.
-Alors ça va. Tu n'es pas stupide, tu comprends ce qu'il se passe là-dedans.
-Oui.
-Des fois j'ai honte d'être un homme quand je vois à quel point certains ressemblent plus à des animaux.
-Ma mère a plutôt honte des femmes dans ce cas.
-Les femmes font ça lorsqu'elles y sont contraintes. Qui force les hommes à aller les voir ?"
Ce fut la tenancière qui leur apporta leur boisson. De l'eau en l'occurrence.
"Nous n'avons même pas commandé à boire, remarqua le garçon.
-Peu importe, si l'on a soif. Car moi j'avais soif. Pas toi ?
-Un peu mais...
-Alors ce n'est pas grave. Nous aurions pu nous plaindre si cela ne nous servait à rien."
Plus loin la femme brune tentait toujours de réveiller le client endormi.
"Allons, debout. Réveillez-vous, dit-elle en lui secouant doucement l'épaule."
L'homme grogna en guise de réponse. Cela fit rire Holly.
"Enfin. Tacher au moins de rester droit sur votre siège."
L'homme se redressa péniblement. Lewis plissa les yeux. Ce n'est que lorsqu'il regarda autour de lui que le garçon le reconnut.
"Vous ne devriez pas tant boire, William, poursuivit la serveuse.
-J'ai tellement mal à la tête, se plaignit-il.
-Vous revenez ici tous les deux mois environ. Et à chaque fois vous vous saoulez. Pourquoi ?
-À votre avis. Pour oublier...
-Oublier quoi ? dit-elle avec un air compatissant.
-Mes journées, ma famille, ma vie...ma putain de vie...
-Je peux comprendre que vous ayez des problèmes. Mais l'oubli ne vous aidera pas.
-Vous savez pas...vous...vous savez rien. Vous savez rien de ma vie.
-Vous devriez parler de vos soucis, William.
-Si c'était si simple,...à qui pourrais-je raconter mes problèmes ? Et surtout ce genre de problèmes...
-Vous savez, cela fait un certain temps que nous nous connaissons, poursuivit-elle en remettant ses cheveux derrière son oreille. Vous pouvez vous confiez à moi.
-Oh, non... Surtout pas à vous miss Pearl. Je n'ai pas beaucoup de temps pour moi et j'ai pas envie de rebuter la seule personne qui veuille bien me tenir compagnie...ou même qui me voit encore comme un homme.
-Voyons.
-Remettez-moi ça Holly.
-William...
-Tu l'as entendu, lâcha la tenancière qui passait devant eux. Donne-lui ce qu'il veut et discute pas."
Holly obéit à contrecœur. Lewis était surpris de voir William dans cet endroit qui devait être assez éloigné de sa maison. Quand on vit une période difficile on cherche souvent un moyen de tenir le coup. Le charpentier avait trouvé l'alcool. Ce dernier était tellement saoul qu'il n'avait même pas reconnu Lewis. Le Chapelier venait de poser brusquement son verre sur la table et se leva de sa chaise.
"Parfait. Hydraté, rassasié et...flou."
Tout d'un coup, il s'effondra au sol. Lewis se précipita vers lui.
"Chapelier, l'appela-t-il. Que vous arrive-t-il ?
-Écarte-toi, petit, dit la tenancière en le poussant. Holly, au lieu de bavarder avec cet ivrogne, viens plutôt m'aider à mettre celui-là dehors. On va le faire sortir par la porte arrière."
Lewis les suivit tandis qu'elles emmenaient son guide à l'extérieur.
"Qu'est-ce qu'il a ? demanda Holly.
-Je ne sais pas, avoua Lewis. Il est tombé d'un seul coup.
-Il a dû insister sur la boisson, déclara la gérante.
-Non, c'était de l'eau. C'est même vous qui nous avez ser..."
Lewis regarda le Chapelier, puis la tenancière. Holly interrogea sa patronne.
"Vous êtes impliquée dans cette affaire ?"

LewisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant