Chapitre 3: Écailles noires

64 11 25
                                    

 La plume lui échappa des mains une nouvelle fois, créant par la même occasion d'autres taches d'encre sur le parchemin. Que diable lui arrivait-il aujourd'hui ? Impossible de se concentrer, surtout lorsque son propre corps semblait se rebeller contre son maître. Agacé d'avoir encore gâché du papier bêtement, Nei se leva en vue de se dégourdir les jambes et de peut-être réussir à se calmer. Manifestement, ses muscles refusaient de se décrisper. Il se sentait tout courbaturé, comme si la grippe le malmenait. Sa tête non plus ne se portait pas au mieux. Son pantalon comme seul vêtement, paraissait le serrer et étouffer sa peau ambrée. Après seulement quelques pas, tout se mit à tourner. Sa vue ondulait, se floutait. Il tituba et se rattrapa de justesse sur la chaise. S'écroulant finalement au sol, il se décida à ramper jusqu'au-dehors.

Avant qu'il n'eût le temps de pousser le long tissu qui faisait office d'intimité à sa hutte, quelqu'un poussa un cri rauque. Un autre le suivi moins d'une minute après le premier, puis un autre et encore un autre. Au bout d'un moment, il comprit que tout le village souffrait également. Sa vue revint soudainement normale et son corps fit laver de ses souffrances. Le silence retomba. Nei se releva rapidement et sortit. Il y avait des villageois encore au sol, d'autres pleuraient et gesticulaient. En face de lui, son oncle se tenait contre un mur de bois, son visage plongé dans ses mains. Au nord du village, au bout de la rangée d'habitation se trouvait la volumineuse hutte du chaman qui illuminait la nuit par son feu qui ne dormait jamais. Fai se trouvait devant, se tenant de tout son poids sur son bâton feuillu. Nei se précipita vers lui, traversant la grande place à grandes enjambées.

- Que vient-il de se passer, ô grand Fai ?

Le chaman se détourna du vide pour le poser sur Nei. Son visage aux traits ridés portait toujours le cercle rouge peint avec une sorte de teinture végétale. Son nez crochu tombait sur sa bouche ronde et pincée.

- La punition, mon enfant.

Il y eut un court flottement avant que l'un d'eux ne se décide à reprendre parole.

- La sorcière ? demanda Nei.

Le chaman acquiesça d'un air sombre. Il semblait bouleversé malgré ses tentatives à garder la tête froide.
Nei serra les poings, la colère brûlait en lui. Ravagé par ses émotions, il essaya malgré tout de se transformer. Son sang bouillonna, sa peau tira, pourtant rien ne se passa. La sorcière avait tenu parole et venait de leur arracher une partie de leurs êtres.

- Réunis le conseil, fit Fai d'une voix blanche en le fixant de ses prunelles noires. Nous devons en discuter et peut-être trouver une solution.

Il ne semblait néanmoins pas avoir d'espoir en ce qui concernait ce dernier point. C'est en baissant la tête vers le sol qu'il rentra dans sa hutte.

La sorcière ne leur laisserait certainement pas une porte de sortie assez simple pour être trouvé lors d'un conseil en tout cas. Le choix qu'elle leur avait imposé était clair; se joindre à elle ou être maudit.

Nei redescendait vers la place du village lorsqu'un grognement sourd fit vibrer l'air. Un immense dragon aux écailles noires volait maladroitement vers lui. Il reconnut de par la balafre près de son œil droit qu'il s'agissait de sa sœur Mei. S'ils étaient tous restés bloqués en leur forme humaine, elle devait l'être en forme de dragon. La détresse se lisait dans chacun de ses mouvements lorsqu'elle se posa lourdement au centre du village. Ses grandes ailes pointues tremblaient et sa queue armée de pics aiguisés, fouettait nerveusement l'air.

- Tu n'étais pas au village cette nuit ?! s'exclama-t-il tandis qu'il accourait vers le dragon. Oh ma chère sœur...

De sa volumineuse et effrayante gueule aux dents acérées, elle articula quelques mots avec difficulté et lenteur. Peu de gens s'entraînait à parler sous cette forme. La maniabilité de la langue et de la mâchoire s'en trouvait bien trop lourde et fastidieuse. Pour certains, parler relevait même d'une défi.

Cirseï l'exiléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant