Chapitre 15: Vivre en douleur

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 L'heure du départ sonnait déjà. Le groupe de soldats appartenant au peuple elfe montait dans le Bleunoir, un très beau navire qui ne servait d'ordinaire jamais. Dahoon l'avait offert avec plaisir aux étrangers, et espérait que leur retour se fasse en toute quiétude. Dosh veillait à ce que tout se passe sans problème, tandis que le roi et sa reine Lelith saluait chacun des elfes qui grimpait le pont. Yorda était là aussi, un peu plus en retrait. Elle s'était cachée derrière des caisses en bois et y avait discrètement attiré Castalmir. Ils avaient moins d'une minute avant qu'on ne le réclame, mais elle tenait à en profiter.

– On se reverra, lui jura Castalmir en la serrant dans ses bras, qu'importe le temps que cela prendra, je reviendrais.

Aussi fort que jamais, le lien l'enveloppa, chaud, doux et agréable. C'était l'amour, au plus puissant que ce sentiment pouvait s'exprimer. Sans se rendre compte de ce qu'elle faisait, Yorda l'embrassa en appuyant lourdement sa bouche contre la sienne. Brutal, mais c'était son premier baiser.

– Castalmir ! hurla un des soldats sur le ponton, où êtes-vous ?

Les joues du garçon n'avaient point rougi. Il avait simplement l'air heureux. Il passa sa main dans ses cheveux, lentement, délicatement, une attention particulière dans son regard, puis l'embrassa à son tour. Plus doucement, et en remuant les lèvres cette fois-ci. En lui adressant un dernier sourire, il partit rejoindre les siens au pas de course.

On entendit une chaîne, un marin hurler quelque chose d'inaudible, et le Bleunoir prit la mer pour rejoindre des terres inconnues. Yorda le regarda s'éloigner. Cela prit du temps avant qu'elle ne réalise qu'une sensation d'étirement, de manque, de vide, s'emparait de son torse. Peut-être avait-elle attrapé froid ? La pensée de son premier baiser la fit vite remiser cette douleur sournoise dans un coin de sa tête. Elle courut jusqu'à sa chambre et s'enroula de sa couverture. Dans sa tête se rejouait la scène du départ, encore et encore. Le temps amoindrirait cette euphorie et en profiter jusqu'à son épuisement total se dressait comme une nécessité. Ses doigts caressèrent ses propres lèvres. Son premier baiser !

Un mal-être la fit sortir de son sommeil, la faisant réaliser qu'elle s'était assoupie depuis plusieurs heures. Une douleur vive l'écrasait de l'intérieur et lui donnait l'impression d'étirer sa chair. Le poids lui coupait le souffle. Yorda se redressa sur son lit, une main plaquée sur sa poitrine. Elle entreprit de longues inspirations, alors que le soleil descendait paisiblement dans le ciel. Il devait bientôt être l'heure du souper. En gardant sa main sur sa peau, la princesse se rejoint sa famille dans la salle à manger qu'ils utilisaient en dehors des festins publics. Sa sœur avait déjà entamé son assiette. Et sa mère et son père venaient de prendre les couverts en main. Ces derniers lui lancèrent un regard doux à son arrivée.

– Et bien, vous êtes encore malade ? demanda sa mère avec inquiétude.

– Comme si je n'étais pas assez accablée par cette journée, le sort semble s'acharner sur moi.

– Tiens donc, dit son père, votre malheur ne serait pas en rapport avec un jeune elfe ?

Yorda sentit la chaleur lui bouillir le visage.

– Je n'ai pas faim, esquiva-t-elle. Père, mère, puis-je retourner au lit ?

Dahoon jeta un regard entendu vers sa femme, et secoua la tête.

– Certainement pas, vous allez vous rendre chez elle.

Par "chez elle", la princesse comprenait à qui Dahoon faisait mention. Rien que d'y penser sa peau frémit. Elle détestait se rendre au sous-sol, il y faisait froid et une sensation de malaise agrippait ses entrailles à chaque fois qu'elle y pénétrait. D'abord, elle voulut désobéir. Puis cette douleur écrasante parut doubler de volume. À contre cœur, Yorda traîna des pieds jusqu'au sous-sol, où un garde l'accompagna à travers la prison pour se rendre chez le troisième-œil de son père. La porte marquée de peinture rouge s'ouvrit avant même que sa main ne se lève. Un visage lui aussi marqué de rouge se présenta alors.

Cirseï l'exiléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant