Chapitre 14: Un marché est un marché

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Les deux mastodontes s'ouvrirent avec lenteur et fracas. Le cliquetis bruyant des écrous raisonna en écho avec le grondement de la porte, dévoilant une cité souterraine très animée. Devant Nei, une large rue traversait l'entièreté de la ville et finissait aux pieds d'un grand manoir dont le manque de fenêtre le heurta. En faisant un rapide état des lieux, il se rendit compte que tous les bâtiments, que ce soit maisons ou échoppe, étaient dotés du même manque. Aucun balcon, forcément. Une seconde de réflexion lui suffit à comprendre que sans soleil, sans paysage, voir au dehors ne comportait pas beaucoup d'intérêt. Le sol ne souffrait d'aucun relief, plat et parfaitement lissé. Le dôme creusé qui abritait les nains frôlait les hauteurs de la montagne qui l'hébergeait. Un orifice circulaire d'à peine un mètre perçait une des parois, laissant filtrer l'air et un filament de lumière du dehors. Une multitude d'individus grouillait ici et là, à faire les courses, à discuter, flâner, boire et manger. Quelques-uns travaillaient aussi. Des rires naissaient de partout à la fois, coupant le rythme régulier des bavardages entremêlés.

– Restez près de moi, je vous pris, dit Priquvra tandis qu'il agitait une main contre sa cuisse.

Un dragon n'était pas un chien, mais à la minute présente, il n'était pas un dragon. On ne s'adressait pas à quelqu'un de la sorte. Ce genre de manque de respect lui donnait envie de distribuer des coups de poing. Au sein de son clan, une insulte, une mauvaise action ou encore un mensonge discréditant peut facilement se terminer en bagarre. Parfois même sans mots, les coups trouvaient le moyen de porter. La colère passagère, mais non moins intense de ces instants, pouvait entrainer une transformation incoercible. Sur ce point, il ne risquait plus rien.

Il serra les dents, ravala sa fierté, et respira lentement dans l'espoir de calmer le sang qui frémissait en ses veines. Pendant qu'ils avançaient, Nei remarqua que beaucoup s'arrêter pour l'observer. Un malaise le pris brusquement. Il bomba le torse, et arbora une attitude des plus aristocrate. À l'ouest de la ville, des volutes de fumés montaient jusqu'au plafond du dôme ; des fonderies, aux vues des cheminées qui dépassaient de loin le reste. Une aura orangée se dégageait surtout de ce coin-là, mais l'entièreté de la ville détenait également cette colorie provenant majoritairement des lanternes. Et des lanternes, il y en avait partout. Sur les toits, sur les murs, sur des colonnes de pierre, sur des murets, placées à même le sol le long des rues, rien ne siégeait dans les ténèbres. Ce n'est qu'une fois devant le grand manoir que Privqua reprit parole.

– Son éminence aime à ce que les visiteurs demandent audience soient clair et concis. Ne vous éternisez pas en palabre, et tenez-vous en au point le plus important ; vous êtes un membre des écailles noires et vous désirez un échange d'aide.

Il tendit la main vers la poignée, mais se figea quelques centimètres avant de la saisir pour finalement se retourner vers lui.

– J'oubliais, ajouta-t-il en agitant l'index d'avant en arrière, n'oubliez pas de préciser que vous avez deux amis disponibles. Ce détail pèsera lourd en votre faveur, je vous le garanti.

La salle de doléance, également du trône, ne recelait pas de diamant, de sol et mur construit d'or, et encore moins de cristal noir. Pas de statues, pas de tapisseries, non plus de marbre. En fait, il se serait crû dans une taverne dont l'administration laissait à désirer. Plusieurs tablées emplies de carafes et pintes de bières étaient disposées aléatoirement. Des nains buvaient et fumaient en parlant et en riant fort. Les relents de houblons et la fumée des pipes étouffaient l'air. Des taches à l'apparence grasse parsemaient le sol, et quelques traces de pas s'y trouvaient parfois fossilisées. La seule nourriture présente accompagnant l'alcool résidait dans des plateaux d'argent. Une viande en pique trop cuite baignant parmi une sauce épaisse.

– Mon roi, je suis navrée de vous déranger pendant les festivités, dit Priquvra en s'adressant à un nain hirsute au bout de la table située au centre de la pièce. Seulement, j'ai pensé que ce visiteur avait une proposition qui pourrait vous intéresser.

Cirseï l'exiléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant