Chapitre 5: La créature

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 Cirseï vomit pour la troisième fois de la journée et peut-être la centième fois depuis le début du voyage. Elle ne savait pas depuis combien de temps ils étaient partis, mais un marin parlait seulement d'une semaine en mer. Sept jours malade, à s'ennuyer comme un rat mort. Le messager s'adonnait volontiers à la discussion, mais ses sujets de conversation se concentraient majoritairement sur la danse et le jardinage. Quant au capitaine, il ne donnait aucun détail ni information sur sa vie privée. Il se contentait d'écouter et de poser des questions neutres. Durant le voyage, aucun des marins ne lui avait vraiment adressé la parole. Malgré les livres empruntés à Drael ou Lastalaica, Cirseï trouvait le temps long. Son île commençait à lui manquer, là-bas au moins son estomac restait en place.

En revenant à sa cabine, Cirseï distingua une queue touffue disparaître vers le cellier. La pièce se trouvait près de la cale et seul le cuisinier s'y rendait régulièrement. Comment le chat avait fait pour monter sur le navire sans être vu et piocher dans les réserves sans que quelqu'un le remarque ? La curiosité l'emporta sur son envie de s'allonger.

À pas de loup, elle marcha jusqu'au cellier et tendit l'oreille. Un son de grignotement, des bruits de pattes et de nouveaux sons de grignotement émergèrent de la pièce. Les chats ne mangent pas d'une telle manière, pensa-t-elle. On aurait plutôt dit une sorte de rongeur dont les bruits s'apparentaient à un écureuil mangeant des noisettes. D'un bond, Cirseï entra et referma la porte derrière elle. Elle découvrit une étrange créature semblable à une belette, se tenant sur ses pattes arrière et adossée à un tonneau. Il dégustait des biscuits aux fruits. Sa fourrure couleur cannelle couvrait pratiquement l'intégralité de son corps à l'exception de son ventre qui lui était blanc. Il avait de grandes oreilles pointues, de grands yeux ronds noirs et un petit nez en boule également tout noir. Sa gueule ressemblait plus à une sorte de bouche très large, mais sans lèvres.

À la vue de la zaïss, il n'eut aucune réaction. Il continua à réduire bruyamment le stock de biscuits. Il les mangeait si vite que la cadence de sa mâchoire paraissait surréaliste.

- Qu'est-ce ce que tu fais ici, petite boule de poils ? lança affectueusement Cirseï en s'accroupissant près de lui.

La créature s'arrêta de manger et lui jeta un regard courroucé.

- Petite boule de poils ?! J'ai l'air d'une petite boule de poils ?! Peste, je suis une muse ! Comment osez-vous traiter la plus belle création des cieux de boule de poils !

Incroyable, l'animal parlait. Cirseï en resta bouche bée.

Il sauta sur un tonneau et bomba le torse en prenant une pause héroïque. Malgré son air sérieux et fier, il renvoyait plus un sentiment comique qu'impressionnant. C'est là que la zaïss se rendit compte que ses pattes arrière ressemblaient à celles d'un lièvre et celles avant à des mains humaines et pointues, mais recouvertes de pelage, ce qui rendait son corps légèrement disproportionné.

- Vous perdez souvent l'usage de la parole après avoir insulté quelqu'un ? Ou vous êtes simplement fascinée ?

Comme il n'obtint aucune réponse, il ajouta ;

- La seconde option, évidemment ! Eh bien, sachez que ma bonté est à la mesure de ma prestance. N'ayez pas peur, vous pouvez vous détendre, je ne mords pas !

- Mais qui êtes de vous ? Pourquoi vous me suivez ? bredouilla Cirseï.

- Je me nomme Dex ! Muse et bête à tout faire des dieux, enchanté, s'exclama-t-il en faisant une courbette exagérée. À bien des surprises, ils m'ont guidé jusqu'à vous.

- Jusqu'à moi ? répète-t-elle stupéfaite.

- Oui, je me demande bien pourquoi. Vous avez l'air un peu trop... fragile. On a l'impression qu'un chien pourrait avoir raison de vous.

Cirseï l'exiléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant