Chapitre 16: Les pronfondeurs

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– Éloignez-vous du bord ! cria Faerond alors qu'il marchait vers le mât.

L'eau ne cessait de s'agiter autour du Silver. Maintenant que le Fraisia semblait hors de danger, le sort décidait de changer de cible. Des remous apparaissaient un peu partout, accompagnés de sons ressemblants à des hurlements rauques émergeant des profondeurs. Tous prirent les armes sans pour autant donner l'ordre de ralentir la marche. En vue des épaves qu'ils venaient de rencontrer, tenter de fuir restait la meilleure des options.

– Il nous faut charger les canons ! clama un marin venant de la cale.

– Et risquer de tirer sur un de nos navires ?! le rabroua Drael depuis la barre. Nous allons simplement essayer de le distancer, priont pour ne pas payer de nos vies le choix de dame Elejhanor.

La maîtresse des lames ne réagit pas. En fait, elle ne l'écoutait pas. Son corps se contorsionnait à l'image d'un fauve aux aguets. Son attention suivait avec précision les déplacements des remous, et sa main caressait doucement une des dagues accrochées à la ceinture qui enroulait sa cuisse.

Tous semblaient deviner ce qui allait se passer. Le calme n'avait fait qu'un bref passage. Les soldats du troisième bateau nommé Verte-feuille bandaient leurs arcs et préparaient leurs flèches. Le messager restait manifestement terré dans sa cabine, et Faerond murmurait à nouveau des paroles inaudibles en lançant des regards apeurés dans tous les sens. Quant à Cirseï, l'angoisse s'était emparée de tout son être. Ses mains tremblaient si fort qu'elle dût les dissimuler dans sa longue cape de soie qui couvrait sa robe.

Le Silver avançait à une allure fulgurante, pourtant les remous ne cessaient de le contourer. Plus ils prenaient de la vitesse, plus la créature faisait des sons terrifiants en prenant soin de rester sous eux.

Au bout d'une dizaine de minutes de course, les choses s'accélérèrent. Le navire fut brusquement ralenti, comme retenue par de gigantesques mains invisibles. Mais il ne s'agissait pas de cela. Un tentacule surgit des profondeurs et vint s'abattre près de Faerond, projetant des gouttes d'eau un peu partout. Aussitôt, l'elfe des mers sortit une fine et longue épée de son fourreau et l'enfonça dans la peau du monstre. Ce dernier se retira avant d'élancer deux autres tentacules sur le Silver. Cette fois-ci en écrasant trois marins qui venaient de rejoindre le pont. Du sang vola et coula autour des restes des pauvres hommes, une odeur métallique envahit l'air.

Cirseï n'avait jamais assisté à un tel degré de violence. Lors de ses entraînements, Lanse l'avait confronté à des mannequins, des cibles de bois, et en dernier à des créatures bien moins terrifiantes et volumineuses que l'était un kraken. À la minute présente, la zaïss ne se sentait pas capable d'accomplir son devoir. Son corps tétanisé par la peur refusait de lui obéir.

Des craquements retentirent lorsque les tentacules enserrèrent un peu plus le bateau, la bête prenait appui pour mieux hisser une gueule effroyable jusqu'à eux.

Sur le navire de soldat, un elfe cria "Lemen !", et une salve de flèches monta haut dans le ciel avant de retomber à la manière d'un arc-en-ciel sur le kraken. Tenace, car peu d'entre elles ne percèrent sa peau corail. Le monstre continuait de monter hors de l'eau pour finalement leur faire face. Une dizaine d'yeux similaire aux arachnés au milieu d'une tête immense et flétrit les regardaient. Sa gueule s'ouvrit, laissant apparaître plusieurs rangées de dents pointues et une langue visqueuse dégoulinante de bave.

Faerond qui s'épuisait en coup d'épée sur les tentacules, n'arrivait à rien. Le désespoir se lisait sur son visage. Drael venait de lâcher la barre et copiait nerveusement l'elfe des mers. Une fine pluie tombait encore. Personne ne pouvait courir sans risquer de glisser, surtout maintenant que le kraken remuait le Silver tant il le serrait contre lui. Elejhanor se tourna vers Cirseï, stoïque. Elle posa son regard sur elle clairement dans l'attente d'une réaction, mais l'archimage semblait bloquée à fixer la mare de sang dans une profonde léthargie. Une deuxième salve de flèche vola dans les airs. Toujours rien. Un autre tentacule sortit de nulle part s'enroula cette fois-ci par-dessous le navire. S'ils ne faisaient rien, ils allaient couler. Quelques marins s'essayèrent à le blesser, munis de petites dagues, sans plus de résultat non plus.

Cirseï l'exiléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant