les instincts sont mauvais présages

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Les instincts d'Asterin lui soufflèrent dès son arrivée en salle de classe, lundi matin, que quelque chose clochait. Cependant elle s'efforça de ne pas paniquer durant tout son cours de français, même si la place vide à côté d'elle ne cessait de l'inquiéter. Ce n'était pas des habitudes de Leane de ne pas prévenir lorsqu'elle allait être absente. Même si les deux adolescentes ne se connaissaient que depuis un mois à peine, elles s’étaient rapprochées très vite. À neuf heures, début du cours de physique-chimie, Mme Sorin arriva plus en retard qu'à l'habitude, et l'expression qu'elle arborait remit au jour les inquiétudes d'Asterin.

Oui, définitivement, quelque chose clochait. Ses traits étaient simplement figés, mais lorsque leurs regards se croisèrent la lycéenne y discerna autre chose. Sa professeure était effondrée de l'intérieur. Et cherchait manifestement à le cacher.

L’heure fut étrange. Alors que les cours de physique-chimie étaient devenus les favoris de beaucoup d’élèves de la classe de par le dynamisme et la bonne humeur que leur insufflait Mme Sorin, ici le cours se déroula dans une ambiance tendue, la professeure partant dans des éclats de colère disproportionnés au moindre bavardage, elle qui les tolérait plus ou moins normalement (sans pour autant qu’ils soient dérangeants).

Elle rendit les contrôles s’étant tenus la semaine dernière en fin d’heure, les engueulant à moitié de ne pas avoir une moyenne de classe supérieure à dix alors que le contrôle n’était pas si dur, et qu’ils n’avaient pas semblé avoir de difficulté lors des exercices faits en classe.
Lorsqu’elle eut fini son speech et commença à distribuer les copies, on aurait pu entendre une mouche voler. Les élèves recevant les leurs partaient sans un mot en récréation, ne souhaitant pas s’attirer les foudres de leur professeure apparemment d’une humeur massacrante.

Lorsque Mme Sorin se dirigea vers elle, Asterin lui lança un regard interrogateur mais celle-ci ne daigna pas lui adresser un quelconque geste en retour, lui tendant seulement peut-être moins sèchement que les autres une copie. Qui s’avéra ne pas être la sienne mais celle de Leane.
Quand la professeure se dirigea à nouveau vers elle, elle eut cependant droit à un semblant de sourire. Un coin de lèvre se relevant à peine, mais cela semblait être un exploit pour la journée. Dix-neuf. Asterin avait obtenu un dix-neuf. Cela lui arracha un grand sourire, qui se dissipa bien vite. Quelque chose ne tournait vraiment pas rond aujourd’hui.

La lycéenne n’ouvrit sa copie qu’une fois dans la cour, assise à une table en compagnie de Luka, Octave et Fanny afin de voir où son point était parti. Les trois autres discutaient avec animosité de l’attitude que venait d’avoir leur professeure, mais Asterin préférait ne pas s’en mêler, sachant qu’elle pourrait à tout instant et sans le vouloir lâcher quelque chose qu’elle n’était pas censée savoir sur sa professeure principale.

Cependant un post-it au milieu de l’intérieur de sa feuille double attira son attention. Il y était griffoné "retrouve-moi aux laboratoires à 16h. Tu dois être au courant".

Fronçant les sourcils, Asterin referma sa copie avant que la bande l’entourant ne puisse apercevoir le mot griffoné, renonçant à comprendre pour le moment son erreur. Mais l’écriture qu’avait prise sa professeure l’intriguait. Elle qui d’habitude traçait des courbes élégantes et régulières y avait renoncé pour écrire cela le plus vite possible, ou bien sous l’influence d’une forte émotion. Peut-être même les deux.

Secouant la tête, Asterin chassa momentanément de son esprit ces pensées pour se concentrer sur la discussion de ses amis, qui étaient vite passés du sujet "Mme Sorin a abusé aujourd’hui" à un débat sur le meilleur groupe de rock. Mais elle ne put écouter autrement que d’une oreille distraite les trois inséparables défendre corps et âme The Cure, Oasis et Queen.

Quelque chose clochait. Vraiment.

***

La fin des cours était arrivée avec lenteur, et Asterin n’avait toujours aucune nouvelle de Leane malgré les nombreux messages qu’elle lui avait envoyé et les appels qu’elle avait tenté aux début et fin de la pause déjeuner, bien qu’il ne soit pas autorisé de téléphoner dans l’enceinte de son lycée. Elle se fichait bien du règlement au vu de l’appréhension qui lui tordait le ventre. Une mauvaise chose s’était produite. Très mauvaise.

Lorsqu’elle arriva devant les laboratoires, elle s’aperçut à travers les fenêtres ouvertes que la classe précédente y était encore puisque sa professeure d’anglais les avait lâchés en avance ; la sonnerie n’avait pas encore retenti. Mais le sombre présage qui la tenaillait l’empêcha d’attendre calmement et elle se mit fébrilement à faire les cent pas, ne pouvant s’empêcher de mordiller l’ongle de son index droit.
Quand enfin la fin de l’heure sonna, le temps que prirent les élèves à ranger leurs affaires et sortir de la pièce lui parut être une éternité. Quand enfin le dernier passa le seuil, elle entra en le bousculant un peu dans sa hâte, refermant la porte derrière elle.
C’était Mme Sorin derrière le bureau, qui effaçait le tableau. Asterin ne put retenir ses nerfs plus longtemps et lâcha directement :

- Je sais que c’est grave, alors s’il-vous-plaît dites-le-moi maintenant où je vais partir en crise de nerfs.

La professeure sursauta, ne l’ayant pas entendue entrer, et se retourna.
La lycéenne se figea. Elle avait les yeux emplis de larmes, et cela se voyait même de l’autre bout de la classe où elle se trouvait.

Leurs regards restèrent l’un dans l’autre seulement quelques secondes avant que Mme Sorin n’éclate en sanglots.
Laissant son sac tomber au sol, Asterin se dirigea à grand pas vers la brune et arrivée à son niveau la prit sans se poser de questions sur le fait qu’elle était sa professeure dans ses bras.

Si au début Mme Sorin sembla surprise, elle ne mit que quelques instants à la serrer en retour, s’accrochant à elle comme si elle n’avait aucune autre épaule sur laquelle pleurer et qu’elle accumulait un trop-plein qu’elle contenait depuis le début de la journée. Ce qui était pour le deuxième point sûrement vrai. Et pour le premier, Asterin ne l’espérait pas en tout cas.

Sans même attendre que ses sanglots se soient calmés, Mme Sorin se recula de l’étreinte pour regarder son élève dans les yeux, attrapant ses deux mains dans les siennes au niveau de leurs ventres.

- Dites-moi. murmura Asterin.

Sa professeure avait vraiment l’air brisée. Son mascara avait coulé et les hoquets de ses sanglots ne s’estompaient pas, au contraire.

- C’est... commença-t-elle sans réussir à finir sa phrase puisqu’un sanglot la prit.

Elle tenta de nouveau, les larmes coulant toujours le long de ses joues.

- C’est Leane.

Elle hoqueta.

- Elle a fait une tentative de suicide.

Where did we get there?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant