ce ne sont pas les adieux qui sont compliqués

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Asterin soupira. Encore une semaine qui débutait. Sans Mme Sorin. La septième depuis qu'elle avait disparu en ne laissant derrière elle qu'un pauvre petit message lui demandant de nourrir son poisson rouge. Bon, et un joli papier avec son fameux "N'oublie surtout pas que je t'aime". Depuis, silence radio. Et bien que son absence pèse de plus en plus sur ses épaules, la châtaine s'inquiétait davantage pour Leane. Même si en apparence, rien ne semblait avoir changé et que la blonde répétait sans cesse à son amie que sa mère biologique ne représentait après tout pas grand chose pour elle, une multitude de petits détails indiquaient à Asterin le contraire. Parmi eux, son sourire de plus en plus rare, son animosité flagrante pour Mr Poulier, le remplaçant d'Aliona, ses gribouillages en marge de ses cours prouvant qu'elle avait la tête ailleurs. Et cela inquiétait la châtaine, qui la savait instable psychologiquement. Pour être tout à fait honnête avec elle-même, Asterin devait bien s'avouer qu'elle avait peur que son amie ne refasse la même erreur qu'en début d'année. Et elle en voulait à Aliona pour ça. Pas pour avoir disparu, ça, elle pensait bien que la professeure avait ses raisons. Mais plutôt pour laisser sa fille qu'elle venait à peine de retrouver en tant que telle seule sans aucune explication.

Depuis son départ, Asterin avait temporairement emmenagé chez la professeure. Elle avait eu l'accord de sa mère, qui l'y avait d'ailleurs encouragé, trouvant que faire les allers-retours pour Paul-Grégoire n'était pas forcément une perte de temps, mais plutôt d'argent. La lycéenne n'ayant pas de carte de transport, c'était soit le vélo soit la voiture. Mais dans chacun des cas, ce n'était pas pratique. Mis bout à bout, les trajets coûtaient en essence, et Asterin et sa mère devaient déjà surveiller leur budget pour la fin de chaque mois. Et le trajet en vélo durait vingt minutes, vingt minutes de trop pour la châtaine dans cette fin de mois de février qui était particulièrement froid pour la saison. Une épaisse couche de neige recouvrait la ville depuis mi-janvier, c'était donc en plus de cette absence de motivation dangereux. Aussi avait-il été décidé qu'elle ne ferait cet effort que le weekend et resterait chez Aliona le reste du temps.
Au début, Asterin n'osait trop toucher à rien. Elle se contentait du strict minimum : chambre, salle de bain et cuisine. Et encore, elle essayait de déplacer le moins de choses possible, touchant avec précaution chaque objet. Mais au fil du temps, elle avait commencé à se servir plus franchement de tout ce que l'appartement possédait. Désormais, elle s'était franchement installée, comme le prouvait l'habitude qu'elle avait prise de s'affaler dans le confortable canapé du salon chaque fois qu'elle rentrait des cours.

Vendredi arriva rapidement. Asterin était songeuse en regardant disparaître dans l'estomac de Paul-Grégoire les petites granules ocre qu'elle avait émiettées dans le bocal. Elle avait dû changer l'eau deux fois, une en arrivant et l'autre à l'instant. Apparemment, Aliona n'était pas au courant que les poissons rouges n'étaient pas faits pour vivre dans de l'eau stagnante puisqu'elle ne lui avait pas demandé de le faire.
Il faisait déjà nuit dehors. Février est vraiment déprimant, se surprit-elle à penser.
Elle se figea lorsqu'elle entendit, de l'autre bout du couloir, un cliquetis. Quelqu'un était en train d'ouvrir la porte. Un intrus? Personne d'autre qu'Aliona et elle n'avait les clés, peut-être son mari aussi. Quelqu'un crochetait la serrure? Un des individus qui était avec la femme brune que Leane lui avait décrite, ou bien cette femme elle-même?
Elle se ressaisit rapidement et éteignit la lumière de la pièce un instant seulement avant que le bruit provenant de l'entrée ne lui indique que la porte était ouverte. Elle se félicita intérieurement de penser à sa planète et de n'avoir allumé que cette lumière. La respiration saccadée mais la plus silencieuse possible, elle s'applatit contre le mur du côté où la porte s'ouvrait. Elle pourrait prendre l'intrus par surprise si il pénétrait dans cette pièce. Oui, mais si c'était un agent russe super-entraîné? Asterin, tu vas beaucoup trop loin, se rabroua-t-elle intérieurement.

À l'oreille, elle pouvait dire que l'individu ne bougeait pas de l'entrée. Il ne pouvait pas avoir vu Asterin, aussi se demandait-elle ce qu'il pouvait bien ficher planté dans le vestibule. Puis un rai de lumière apparut d'en-dessous la porte fermée de la pièce, et des bruits de pas légers se firent entendre dans le couloir. L'intrus devait avoir enlevé ses chaussures.  Asterin se liquéfia peu à peu lorsque les pas se rapprochèrent de plus en plus. La chambre était la dernière porte, et l'inconnu ne semblait pas vouloir s'arrêter avant de l'avoir atteint.
Soudain, la porte s'ouvrit et une ombre y pénétra. Ni une, ni deux, la châtaine balança lorsque l'intrus l'eut dépassé de quelques dizaines de centimètres sans la voir son pied dans son épaule. L'individu eut un petit cri de surprise et de douleur mêlées et se retourna, bien que déséquilibré, pour faire face à son agresseur. Agresseur dont la peur et l'appréhension s'évanouirent en un instant lorsque la lumière du couloir éclaira le visage de la personne qu'elle venait de frapper et qui désormais la dévisageait avec incompréhension.

- Madame... Madame Sorin? bégaya-t-elle.

  Ses cheveux atteignaient désormais le bas de sa poitrine et formaient de jolies boucles et ondulations. De profondes cernes creusaient le dessous de ses yeux et elle paraissait vraiment frêle, mais c'était bien elle. Asterin appuya sur l'interrupteur qui était derrière elle, et la lumière innonda la pièce, soulignant d'autant plus la fatigue de la professeure.

- Je pensais qu'on avait passé le stade du "Madame", non?

Le ton était maladroit, incertain. Aliona ne savait pas sur quel pied danser. En même temps, elle avait quand même disparu deux mois sans donner de nouvelles. Elle se massa de la main droite son épaule gauche qui avait fait la rencontre du pied d'Asterin. Le visage de la lycéenne lui avait manqué. Mais à l'instant, il restait indéchiffrable, passée la surprise de la revoir.

- Pourquoi vous n'avez pas prévenu Leane?

Aliona se figea. D'abord, le vouvoiement qui instaurait une distance froide entre elles. Et l'évocation de sa fille. Bien sûr, qu'elle avait pensé à Leane. Mais si elle prévenait qui que ce soit, cela aurait donné un bon prétexte à ses parents de faire pression sur elle. Il fallait que personne ne s'inquiète pour elle. Elle soupira en se rappelant que ni Asterin, ni Leane n'étaient au courant de tout ça. Enfin, Asterin devait bien se rappeler de ses parents comme de gens autoritaires et froids, de ce qu'elle lui en avait raconté le jour où elle avait craqué et déballé tous ses traumatismes, récents comme anciens. Mais elle ne pouvait même pas se douter qu'elle était en Russie durant ces deux mois.

- Vous feriez mieux d'aller vous excuser auprès d'elle. Moi, j'en ai un peu rien à faire, je me doute que vous avez vos raisons.

Un silence, inconfortable, s'installa entre elles. Aliona ne savait que dire ou faire face à ce ton monocorde, presque mécanique.

- Je vais ramasser mes affaires et vous laisser tranquille, je pense. Vous devez en avoir besoin, prenez votre temps pour vous réhabituer à avoir des liens avec les gens, surtout.

Malgré ce qu'elle tentait de faire paraître, Asterin était amère. Aliona l'avait laissée seule.
La châtaine alla chercher sa trousse de toilette dans la salle de bain attenante qu'elle jeta dans sa valise qu'elle ferma. Même si elle avait pris ses aises avec le temps, ele n'avait rien déballé.

- Vos placards sont pleins de nourriture. Et Paul-Grégoire se porte comme un charme, ne vous inquiétez pas.

Elle mit sa valise sur pieds et alors qu'elle allait en attraper la poignée, une main sur son poignet l'en empêcha. Elle se tourna vers Aliona, prête à lui sortir une réplique cinglante, mais l'expression faciale qu'elle affichait l'en empêcha. Les larmes cerclant ses yeux et ses cernes toutes grises lui interdisaient de blesser cette femme. Aliona murmura alors, d'une voix tremblante de sanglots :

- Reste... S'il-te-plaît, Asterin. S'il-te-plaît.

***

coucou, petite note pour vous dire que je ne pense pas qu'il y aura de chapitre la semaine prochaine, car mes vacances me prennent tout mon temps haha :) (déjà que je poste ce chapitre en retard... et je DÉTESTE être en retard)
prenez soin de vous et de vos proches en cette période de fêtes! et surtout, n'oubliez pas : you're never alone
bonnes vacances et à dans deux semaines!

Where did we get there?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant