le permanganante de potassium ça tâche

1.2K 75 5
                                    

Asterin soupira en passant une main dans ses cheveux, un peu exaspérée. Il était 8h41 et toujours aucune trace de Mme Sorin devant les laboratoires, en ce samedi matin. En plus de ça, il pleuvait des cordes alors qu'elle n'avait pas de capuche et la porte d'entrée des labos était à l'extérieur.
Le gardien l'avait regardé entrer avec un drôle d'air, mais sans l'en empêcher.
Elle finit après quelques secondes par entendre derrière elle des bruits de talons précipités. Elle se retourna et aperçut sa professeure principale.

- Asterin! Je suis vraiment désolée pour mon retard, mais...
- Mais c'est votre marque de fabrique à ce que je vois! la coupa-t-elle avec un sourire moqueur.

Sa professeure leva les yeux au ciel et déverouilla la porte d'entrée.

- On va faire du tri. annonça-t-elle tandis qu'elles entraient toutes deux et déposaient leurs manteaux trempés. Chaque année, on se dit avec les autres professeurs qu'on va s'y mettre sans jamais en avoir le courage.
- Donc je me fais exploiter?
- Exactement!

Asterin grogna sous le sourire en coin de sa professeure.

- Suis-moi. Je vais t'expliquer.

Elles entrèrent dans la salle de réserve, assez grande et, il faut bien dire ce qui est, dans un bordel pas possible.

- Ok. Donc vous voulez que je meure c'est ça?

Mme Sorin eut un léger rire.

- Tu trouveras blouse et gants juste ici. indiqua-t-elle en désignant d'un geste un placard de la pièce. Et je ne vais pas te demander de déplacer les produits vraiment dangereux.
- Trop aimable. grogna Asterin en se dirigeant vers l'endroit indiqué.

Voyant que Mme Sorin ne bougeait pas d'un poil, elle se retourna vers elle.

- Vous n'en mettez pas?
- Ah, mais moi, je te regarde juste faire jeune fille.
- Les doigts de pied en éventail? questionna, à moitié indignée, Asterin.
- Les doigts de pied en éventail, exactement.
- Vous êtes vicieuse.
- Et toi beaucoup trop franche. répliqua en levant les yeux au ciel la professeure. Bon, allez, remue-toi un peu par contre. On n'a pas la journée.
- Eh, j'suis pas votre fille, j'ai pas à vous obéir au doigt et à l'œil. marmonna en cherchant une blouse à sa taille la châtaine.
- Elle le fait absolument pas, mais merci de t'inquiéter pour elle. lança ironiquement Mme Sorin qui avait entendu.
- Vous avez une fille?

Asterin se retourna en souriant.

- Bon, on n'est pas ici pour parler de ma vie de famille! Allez!

Le soupir faussement exaspéré de la professeure fût trahi par un petit sourire au coin droit de ses lèvres.

La châtaine avait fini par trouver une blouse à sa taille (enfin, trop grande, mais il n'y avait pas plus petit) et enfiler des gants.

- Ta blouse est trop grande. remarqua directement en arquant un sourcil la professeure qui entrait dans la salle.

Elle était sortie chercher son téléphone.

- J'y peux rien, y a pas plus petit!
- Rien à faire, débrouille-toi. Et compte pas sur moi pour te passer la mienne, elle serait trop petite cette fois.
- On fait la même taille. lâcha, dubitative, Asterin.
- Sauf que je suis sur talons.
- Ah, oui.

Petit moment de flottement.

- Ça change rien au fait qu'il y a pas plus petit.
- Rah, tu me fatigues! faussement désespérée. J'aurais dû te coller, au moins mon samedi matin aurait été préservé.
- Ça aurait été dommage, j'aurais été o-bli-gée de parler de votre léger mensonge sur votre retard...

La professeure ouvrit de grands yeux.

- Ça fait du chantage?
- Ça fait du chantage.
- Eh bien tu reviendras samedi prochain dans ce cas.
- Quoi? Eh, non!
- À moins que tu ne veuilles rentrer chez toi maintenant et revenir en colle mercredi après-midi?

Asterin resta abasourdie.

- Vous êtes vraiment vicieuse!
- Et toi vraiment trop franche.
- Je suis sérieuse!
- Mais moi aussi! Je t'attends samedi prochain sans faute!
- C'est-à-dire que... C'est l'anniversaire de ma mère, et elle a enfin décidé de poser un congé alors que ça fait cinq ans qu'on n'a pas pris de temps ensemble ce jour-là...

Mme Sorin soupira.

- Je suppose que ça ira pour cette fois alors?

Grand sourire d'Asterin.

- Merci!
- Contente-toi de ne pas parler de mon retard, ça me suffira.
- Aucun problème, chef.
- Chef, maintenant? Sérieusement?
- Chef de chantier! Je commence par où?
- Tu es in-te-nable. Intenable. C'est ahurissant.
- Comme votre fille? avec un sourire en coin.

Mme Sorin ne réussit pas à s'empêcher de souffler du nez.

- Tu m'énerves. Allez, au boulot miss.

***

- Mais c'est pas possible!
- Vous croyez que ça m'amuse?
- Pourquoi tu m'as pas prévenue que t'étais un boulet qui avait la poisse?
- Mais parce que vous avez jamais demandé!

Asterin venait de renverser sur une paillasse d'un des laboratoires, alors qu'elle déplaçait des produits pour mieux les ranger ensuite, un flacon entier de permanganate de potassium.
Mme Sorin avait haussé le ton.

- T'as une idée de la capacité de coloration de ce truc?
- Je sais bien, mais croyez-moi si j'avais eu le choix je l'aurais pas fait!
- On en a pour au moins trente minutes à tout faire disparaître!
- Oui bon aussi, si y avait des blouses à ma taille dans ce labo...

Le flacon avait glissé des mains d'Asterin à cause de la longueur des manches de sa blouse qui l'empêchait de bien attraper les produits.

- T'es pas possible. Mais alors à un point... râla la professeure tout en allant chercher de quoi nettoyer.

En attendant son retour, la châtaine épongea du mieux qu'elle le pouvait le liquide violet avec simplement du sopalin, puisqu'il n'était pas dangereux.

Lorsque Mme Sorin fût revenue et s'attabla au nettoyage avec son élève, elle finit par lancer :

- C'était les derniers flacons à déplacer. Je vais te laisser y aller après ça.
- Il est que 11h15!
- Tu veux camper ici? demanda narquoisement la brune. Ça doit être ma prestance, je donne envie à tout le monde de rester près de moi.

Rentrant dans son jeu, Asterin renchérit :

- Merde, comment vous avez compris?
- Quand t'as tout renversé. Je suis sûre que c'était pour passer plus de temps en ma compagnie.
- Cramée. En même temps qui pourrait vouloir quitter la fooormidablement éblouissante personne que vous êtes?

Mme Sorin éclata de rire, entraînant son élève avec elle. Le calme et un silence apaisant revenu, elle murmura quelque chose qu'Asterin ne réussit pas à percevoir.

- Vous avez dit?
- Non, rien. Rien.
- Ok...

Elles ne se parlèrent pas plus de la fin du nettoyage, si ce n'est qu'elles se dirent au revoir au moment de repartir.

Sur son vélo, les méninges d'Asterin tournaient à plein régime. Parce que son cerveau avait compris ce qu'avait dit sa professeure une dizaine de secondes après que les mots soient sortis de sa bouche.

"Ma fille, par exemple."

Where did we get there?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant