essayer de se décider

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Aliona soupira en s'asseyant sur le bord de son lit. Il était tard, très tard. Asterin et sa mère étaient parties de chez elle depuis maintenant plusieurs heures, après avoir échangé leurs cadeaux et pris leur repas du midi avec la professeure. Puis elles avaient toutes trois passé l'après-midi à se balader dans les allées du marché de Noël de la ville, où Asterin avait réussi à gagner un poisson rouge sous le regard désespéré de sa mère. Toute contente, elle s'était tournée vers sa professeure et lui avait tendu en disant "Cadeau! Pour me faire pardonner de ne rien avoir à vous offrir!". Alors avec un sourire maladroit, Aliona l'avait accepté.

Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas reçu de cadeaux de Noël. Elle ne le fêtait pas avec son mari et n'avait jamais rien demandé à ses parents, qui de toute façon n'auraient pas fait l'effort de lui donner ce qu'elle souhaitait, même enfant. Chaque année, petite, elle jalousait en revenant des vacances de Noël les morveux qui discutaient entre eux de leurs meilleurs cadeaux. Les seules attentions qu'elle recevait aux fêtes de fin d'année étaient occasionnellement des chocolats de ses élèves. Alors aujourd'hui, la boîte de thés rares donnée par Amélie et ce poisson rouge, c'était pour elle des nouveautés. Des nouveautés qui lui remplissaient le cœur de joie qu'elle ne savait pas comment exprimer. Elle n'avait jamais appris à remercier quelqu'un qui lui offrait quelque chose.

En déambulant entre les allées, Asterin s'état même risqué à attraper timidement le bout des doigts d'Aliona, et elle avait de nouveau souri, mais tendrement cette fois-ci, n'essayant pas de se dégager alors que la mère de la lycéenne était juste à côté. Ce n'était pas très grave, après tout. Ça pouvait s'expliquer facilement en mentant de manière habile.

Elle avait aussi cédé à la tentation du vin chaud, malgré le regard de désapprobation d'Asterin. Mais la jeune ne pouvait rien faire d'autre que froncer les sourcils, ne se permettant pas de dire devant sa mère ce qui clochait dans le comportement de sa professeure. Aliona, d'une certaine manière, était encore dans le déni. Elle se permettait des écarts jusqu'à ce qu'elle décide de si elle gardait ou non cet enfant, mais savait qu'elle n'arriverait pas à être irréprochable sur de trop longs mois si elle n'avortait pas. S'abstenir de boire et fumer était pour elle impossible. Ça n'était pas qu'une question de volonté. Ces deux presque addictions lui permettaient de ne pas se reporter sur d'autres moyens de se sentir mieux qui seraient encore plus néfastes pour sa santé.
Et puis, un verre de vin chaud n'avait jamais tué personne, non?

Toujours assise au bord de son lit, Aliona alluma la lumière qui passait derrière les oreillers. Sur un petit bureau qui occupait un coin de la pièce, Paul-Grégoire la fixait, faisant remonter à la surface de son bocal de petites bulles d'air. C'était Asterin qui avait tenu à ce qu'il s'appelle comme ça, et bien qu'elle ait soufflé en réponse "c'est ridicule", Aliona avait adopté le prénom composé. Elles étaient passées à l'animalerie avant de se séparer, Amélie et Asterin rentrant chez elle, et la professeure avait dû acheter un bocal, une fausse algue, de minuscules cailloux bleus et un petit château beige. À présent, Paul-Grégoire avait un micro-royaume rien que pour lui, mais y semblait aussi inspiré que dans son sachet en plastique où il avait été trimballé toute l'après-midi.

Il était aux alentours de deux heures du matin, mais le sommeil ne voulait pas venir à la rencontre d'Aliona. Elle avait voulu s'assomer de somnifères, mais la notice indiquait très clairement "ne pas utiliser chez la femme enceinte". Alors elle avait dû se résigner. Puis elle avait eu une soudaine envie de sortir faire le tour des bars. Mais pareil, elle s'était rappelé que le fœtus en elle n'apprécierait pas plus que le verre de vin chaud du marché de Noël.
Elle grogna en dévisageant Paul-Grégoire.

- Quoi, qu'est-ce que t'as à me fixer comme ça?

Comme si il comprenait ce que la professeure disait, il fit demi-tour et se mit à longer les parois du bocal, revenant bien vite sur ses pas mais continuant d'avancer.

Where did we get there?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant