divine idylle

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Asterin avait des étoiles plein les yeux. C’était la première fois de sa courte vie qu’elle allait à l’opéra. Sur les places d’honneur en plus de ça, les plus chères, auxquelles Aliona avait eu accès gratuitement. Et le lieu l'éblouissait. Il fallait dire qu'à ses côtés, sa mère et Leane n'étaient pas en reste non plus. Le trio devait bien réunir les trois personnes le plus heureuses d'être ici, et la salle était pleine.
En plus de ça, la musique était incroyable. Aliona n'était pas encore montée sur scène, il y avait déjà eu une entracte, mais cela n'empêchait en rien les sourires ébahis. Tout était brillant, les costumes étaient incroyables, les chanteurs ne mettaient pas une note à côté. En même temps, c'était un peu leur métier. Mais tout de même. C'était assez impressionnant aux yeux de la lycéenne.

Après une salve d'applaudissements, le rideau se baissa, permettant le passage d'un décor à l'autre. Il commençait à être tard, et malgré ses efforts, la fatigue picotait les yeux d'Asterin. Cependant, ce qu'elle vit lorsque le rideau se leva la réveilla entièrement. Ça y est. Aliona était sur scène. Et elle était magnifique. Sa robe de tulle noire étincellait sous les projecteurs et la taillait superbement, mettant en valeur son ventre arrondi. Déjà assise sur le banc devant son piano, le visage concentré, Asterin pouvait deviner de là où elle était que sa professeure angoissait comme elle ne l'avait jamais fait. C'était une grande salle, et elle ne travaillait son morceau que depuis quelques jours. La seule répétition qu'elle avait eue s'était tenue l'après-midi même. Il y avait de quoi ne pas rester sereine, la lycéenne devait bien l'admettre. Néanmoins, si on ne connaissait pas l'enseignante, ça n'était pas observable. Elle cachait parfaitement bien ses émotions aux yeux inconnus. Et elle n'avait désormais plus besoin de cigarettes ou d'alcool pour y parvenir.

Le silence se fit dans la salle progressivement. La plupart des gens ne remettaient pas Aliona, malgré son nom dans la programmation. Cela faisait longtemps, vraiment longtemps qu'elle ne s'était pas produite sur scène. Et c'était une chose rare qu'un pianiste inconnu au bataillon hérite d'un solo, même accompagné d'un orchestre, dans un opéra.
Cependant, lorsque ses doigts se posèrent sur les touches, légèrement tremblants, et que l'orchestre commença à jouer au geste qu'elle fit en écrasant les premières touches, l'enchantement pris peu à peu place dans la foule toute entière. Si ils ne se souvenaient pas de son nom, son jeu, c'était autre chose. Même sans jamais l'avoir entendu auparavant, on ne pouvait qu'avoir l'impression qu'il nous transportait dans un endroit familier, qui donnait le sentiment d'être chez soi. Le morceau sembla durer à la fois une éternité et un instant. Et lorsqu'il se termina et qu'Aliona, qui s'était laissée emporter par la mélodie qu'elle produisait, releva un peu la tête, signifiant qu'elle revenait mentalement dans la salle de l'opéra, les applaudissements jaillirent de partout dans la salle. L'entièreté du public avait été séduit.

Asterin la première. La châtaine, les yeux brillants de fierté, souriait à s'en décrocher la mâchoire. Aliona semblait revenir à la vie, et se sentir enfin à la place qu'elle voulait. Alors, forcément, comment ne pas être heureuse face à un tel phénomène?

***

- Entrez!

Aliona, enthousiaste, lança cette exclamation lorsqu'elle entendit quelqu'un toquer à la porte de sa loge. Elle était en train de se démaquiller avec peine, au vu de la main tout sauf légère des maquilleuses professionnelles qui travaillaient ici. Mais, elle n'allait pas s'en plaindre. Le résultat avait été superbe.
Trois personnes tous sourires se glissèrent dans la pièce qui, même si elle n'était pas petite, en devenait de fait assez étroite.
Leane, Amélie et Asterin déversèrent des tas et des tas de compliments à la russe, à la pelle, qui les acceptait avec un sourire doux sans dire un mot. À vrai dire, même si elle avait essayé, elle n'aurait pas réussi à en placer une tant les trois étaient enthousiastes. Quand enfin elle entrevit une ouverture pour aligner trois mots, elle les remercia et leur proposa d'aller dans un bar pour fêter ça. Amélie, au premier abord un peu réticente du fait de l'âge des deux lycéennes les accompagnant finit par céder, et les quatre partirent après que l'enseignante ait fini entièrement de se démaquiller et ait refait par-dessus sa peau libérée de fond de teint et fard de toutes parts un léger trait d'eye-liner. Elle s'aimait sans maquillage, certes, mais préférait tout de même en mettre un minimum lorsqu'elle sortait en public. C'était un sorte de rempart qui la protégeait d'une certaine manière du monde extérieur.
Elle aurait également préféré se changer, mais finit par y renoncer. Ça ne l'enchantait pas de remettre des vêtements qu'elle avait déjà portés toute la journée, et même si la robe était un peu provocante, elle finit par se décider à la garder, nouant tout de même son trench noir qui lui descendait au genou par-dessus. Dans un bar, les gens buvaient. Et elle ne voulait prendre aucun risque.

Elles trouvèrent rapidement un établissement à proximité de l'opéra qui se révela être tout à fait charmant. Personne ne vint les déranger, et les quatre burent un peu, malgré les sourcils faussement froncés d'Amélie. Elle n'autorisa cependant que de la bière aux deux lycéennes, qui se consolèrent en vidant un peu les verres bien plus chargés des deux adultes dès que la mère d'Asterin avait les yeux tournés, sous le regard amusé d'Aliona.

Quand enfin elles furent de retour à l'hôtel, où elles s'étaient réparties trois chambres, une pour les adolescentes et une pour chacune des adultes, elles se dirent rapidement bonne nuit avant de se séparer. Il était déjà plus de deux heures passées. Cependant, Asterin ressortit bien vite de la sienne pour aller toquer à celle d'Aliona, qui lui ouvrit presqu'immédiatement. Très vite, elles furent nues toutes deux. Et, après de longues et longues minutes, quand enfin elles retombèrent contre le matelas, Aliona se redressa sur le flan, accoudée à l'oreiller, couvant du regard la châtaine qui recouvrait difficilement ses esprits, dans une ambiance de clair-obscur délivrée par la lumière jaune d'une des lampes de chevet restées allumée. Quand les deux furent calmes, Aliona finit par prendre la parole, après un long moment à se dévisager tendrement :

- Le directeur de l'opéra m'a proposé un poste fixe de pianiste.

Asterin se figea aussitôt et son expression changea du tout au tout lorsque ses sourcils se froncèrent.

- Tu vas accepter?

Ce qui au départ était une question rhétorique, à laquelle la lycéenne n'imaginait pas d'autre réponse que "non", se transforma en phrase lourde de sens au silence de l'enseignante.

- Je ne sais pas. finit-elle par avouer. Je ne sais vraiment pas.

Where did we get there?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant