L'enfant du Mal

8- Le temps d'une distraction

Le temps commence à se faire long, par ici. Assise au centre d'une cellule vide sous des néons blancs presque aveuglants, il n'y a pas beaucoup de sources de distraction dans le coin. Alors, je fais ce que je peux. Je m'imagine intérieurement différents scénarios dans lesquels, au final, Thor est allongé mort devant moi. Ma vengeance, c'est la seule chose qui me permet de tenir.

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis ici, je commence à perdre la notion du temps pour être honnête. Mais ça n'a pas vraiment d'importance : rien ne m'attend là-dehors. Alors je continue d'attendre, assise, regardant droit devant moi le vide et le néant. De temps à autre je défais mon chignon pour en faire un autre, plus serré, ou bien je retrousse les manches de ma tenue de combat bleu marine.

Seulement, aujourd'hui et après un temps que je ne peux pas quantifier, ma routine habituelle se voit quelque peu changée. Car alors que je m'apprête à fermer les yeux pour faire un somme - dans lequel, toujours, mes rêves deviennent réalité - j'entends des pas s'approcher et je me redresse pour accueillir mon invité. Celui-ci a le regard à la fois noir et malicieux, et s'approche de moi d'un faux air amical et souriant.

- Salut l'amie, dit-il en venant s'accouder à la paroi de ma cellule. Alors, comment ça va ce matin, la nuit a été bonne ?

Oh, alors on est le matin. J'aurais pensé que nous étions à la tombée de la nuit mais d'accord, peu importe. Après tout ça ne change pas grand chose. Immobile et surtout, silencieuse comme depuis le moment où ces idiots m'ont capturée, je me contente de le regarder d'un air las et le sourire de Loki s'agrandit. Il me regarde quelques instants, soutenant mon regard l'air de se demander si je baisserais les yeux la première. Ce n'est pas le cas. Alors au bout d'un moment, il laisse échapper un petit sourire et se décale quelque peu de l'endroit où il était. Je dois bien l'avouer, ce qu'il fait ensuite m'étonne. Loki s'approche de l'ouverture de ma cellule, en ouvre la porte et s'infiltre à l'intérieur pour se placer juste devant moi.

Oh, mon pauvre petit. Tu n'aurais jamais dû faire ça.

Alors que Loki s'avance et s'accroupit à quelques centimètres de moi à peine, mon cerveau commence à réfléchir à toute allure. Les mains croisées dans le dos, je m'active : je peux défaire mes liens, je le sais. Il me faut juste un peu de temps.

- Allez petite, recommence Loki en penchant la tête, arrêtons ce petit jeu tu veux bien ? Tu es ridicule. Ça fait des jours que tu es là, sans dire un seul mot : si tu continues tu vas carrément oublier comment on fait. Alors vas-y, parle. PARLE, JE T'AI DIT !

En prononçant cette dernière phrase, Loki rapproche son visage menaçant du mien et je vois ses lèvres trembler de colère. Ça y est, il perd patience. Enfin. C'est le moment : celui que j'attendais. Parfait.

Je sursaute alors qu'il avance près de moi, et mon visage se tord. Cela a l'air de le surprendre, tant mieux : c'est l'effet recherché. Et alors qu'il me regarde d'un air surpris, j'utilise les quelques astuces que Ronan m'a enseignées. Après quelques instants, mon corps est pris de secousses et ce que je voulais se produit : une larme coule sur ma joue.

Loki est pris de court, je le vois bien. Il penche la tête d'un air curieux, et je sais que c'est le moment pour moi. Alors, pour la première fois depuis des jours, je me décide à ouvrir la bouche. Les lèvres tremblantes d'une fausse peur et d'une fausse sensibilité, je laisse mes larmes continuer de couler et je prends enfin la parole, laissant à Loki le loisir d'entendre ma voix pour la première fois. Une voix tremblante, de petite fille apeurée. Mon tour préféré.

- C'est tellement... tellement...

- Allez, m'encourage Loki en souriant toujours, vas-y. Libère-toi, parle.

Alors, c'est ce que je fais. Je ne connais pas cet homme, je ne sais rien de sa vie et pourtant je crois comprendre en un coup d'oeil que ma ruse va fonctionner. Je laisse donc mes larmes continuer de couler, le regard triste.

- C'est tellement difficile pour moi. J'ai toujours voulu une seule chose : être digne de mon père. Je voulais le rendre fier de moi, c'est tout... Mais lui, il ne m'a jamais aimée... Et maintenant, il est mort et j'ai l'impression que tout s'écroule autour de moi... que les opportunités que j'aurais pu avoir m'ont échappé... Ça m'a fait un peu perdre la tête, c'est tout...

Je peux voir le regard de Loki s'adoucir. Pas beaucoup, mais suffisamment pour me convaincre que mon plan fonctionne. Alors j'essuie mes larmes du haut de l'épaule, et je reprends d'une voix triste.

- Je n'ai jamais eu de famille, personne ne m'a jamais aimée... Je n'ai jamais eu de maison, non plus, et ça me rend triste... Je me sens vide à l'intérieur. Alors je me suis dit qu'en essayant de venger mon père, ce trou à l'intérieur de moi serait comblé... Je sais que c'est idiot, mais... je n'avais aucune autre solution pour me sentir mieux...

Là, j'éclate en sanglots. Mon corps se secoue de pleurs et je ne retiens plus rien. Comme quoi, les enseignements de Ronan m'ont été utiles finalement.

Loki est désemparé. Pas assez pour pleurer ou se montrer compatissant, mais... suffisamment pour se déconcentrer. Alors, quand je le vois baisser le regard d'un air meurtri, je profite de l'instant sans attendre. L'instant suivant, je suis débarrassée de mes liens. Debout dans ma cellule j'assène à Loki un coup assez fort pour le sonner et cours hors de la cellule avec hâte.

Un sourire rayonnant sur le visage, j'essuie mes larmes de crocodile puis je récupère mes poignards devant ma cellule et recommence à courir en direction de la sortie de cette prison. Ça y est, je suis libre. Cet idiot n'aurait jamais dû laisser la porte ouverte derrière lui !

Pourtant, alors que je crois que l'heure de la vengeance a enfin sonné, mes espoirs sont anéantis en un quart de seconde. Je tourne la tête, vois Loki s'approcher de moi et ensuite, sens ses mains se plaquer contre ma gorge. Toujours dans mon dos, il approche ses lèvres de mon oreille après avoir plaqué mes cheveux vers l'arrière.

- Bien essayé, ma jolie. Mais tenter de berner le Dieu de la Malice, c'était vraiment idiot de ta part.