L'enfant du Mal

52- De vieilles douleurs

Il y a énormément de choses dans l'esprit de Loki Laufeyson. De la rage, de la jalousie, de vieux souvenirs d'enfance...

Je n'arrive pas à voir les choses nettement, il me faudrait la pierre de l'esprit pour ça. En revanche, j'arrive à cerner très distinctement les blessures que chaque souvenir a pu laisser sur l'âme de ce beau Dieu de la Malice.

Je vois un sentiment de ne pas être assez bien, à force d'être toujours comparé à un frère qu'il ne dépasserait jamais. Je vois de la colère et de la tristesse, devant les mots d'un père dont il a longtemps eu l'impression de ne pas être aimé. Je vois aussi quelque chose de familier, un désir de vengeance, causé par mon père et ses fourberies d'il y a déjà plus de dix années. J'ai la sensation en lisant à travers son âme que Loki a reçu de nombreux coups, depuis le début de sa vie et jusqu'à maintenant. Le fait est qu'il n'a jamais arrêté de souffrir, les blessures de son passé n'ayant jamais totalement cicatrisé.

Quand je lâche son bras et reviens à la réalité, je fais un pas en arrière tandis que la tête de Loki heurte le mur derrière lui. Suite à cela il reprend conscience de l'endroit où il se trouve, et après quelques petites secondes de confusion son regard se tourne vers moi.

- Qu'est-ce que tu viens de faire ?

- J'ai utilisé ça.

Je lève la pierre de l'âme au niveau de son regard, avant de la ranger à nouveau dans ma poche. Puis, je me laisse tomber assise face à lui et pose les mains sur mes cuisses, le regard baissé.

- Alors, tu comprends vraiment. Tu es vraiment comme moi.

- Tu ne l'avais pas déjà deviné ? me répond-il en penchant la tête.

Au fond, je crois que si. Je l'ai su dès le premier jour, quand je me suis battue avec lui et que j'ai vu la tristesse qui se cachait derrière son cynisme. Mais ça n'avait pas d'importance.

- Je suis toi, Thania, reprend Loki. Et tu es moi. Nous sommes... deux âmes exactement identiques. Tout ce que tu as vécu, je l'ai vécu aussi. Et l'inverse est tout aussi vrai. C'est pour ça que je suis là.

Je reste face à Loki, immobile, silencieuse, comme souvent. Je me contente de le regarder, attentivement, scrupuleusement. Et finalement après un temps, j'esquisse un petit sourire et je secoue la tête.

- Je ne sais pas ce que tu attends de moi, Loki, mais je ne pourrais pas te le donner. Tout ce que je veux, c'est rester ici. Et attendre que tout soit terminé. Je suis désolée.

- Thania...

- Non, le coupe-je, je suis sérieuse. Si tu es là pour tenter de me changer, ou me persuader qu'en réalité la vie, c'est génial, tu peux tout de suite t'en aller. Je ne veux plus tuer personne, alors évite de me forcer à le faire. J'ai le mal en moi, il est là, tout près. Et apparemment, c'est quelque chose que tu peux comprendre.

- En effet, c'est quelque chose que je comprends. D'où la raison de ma présence, une fois de plus. Moi aussi, j'ai le mal en moi, Thania. Et je n'ai pas tué des gens pour venger une soeur que j'ai aimée ; je l'ai fait pour le pouvoir, ce qui est bien pire. Pourtant, je ne vis pas reclus quelque part en attendant la fin. Ça ne m'empêche pas de vivre, ou au moins d'essayer. Qu'est-ce que tu vas faire ici jusqu'à la fin de tes jours, hein ? Il te reste des siècles devant toi !

Je ne réponds pas. Qu'est-ce que je pourrais bien lui dire ? À la place, je baisse encore le regard et pars à la recherche d'une tâche imaginaire sur ma robe. En me voyant faire, Loki soupire. Ensuite, son regard dévie vers le ciel et je peux l'entendre ricaner, ce qui me fait lever la tête.

Loki continue de regarder en l'air et secoue la tête d'un air tragique. Puis, il soupire à nouveau et son regard croise le mien.

- Tu crois que Nébula est fière de toi, là où elle est ? Tu crois qu'elle est contente d'avoir sacrifié sa vie pour que tu fasses ça, de la tienne ?

Oh non, il n'a pas osé.

Une seconde plus tard, je coince Loki contre le mur, le poignard sous sa gorge.

- Qu'est-ce qu'il y a, reprend-il en souriant, j'ai dit quelque chose qui ne t'a pas plu ? Peut-être parce que c'est la vérité... aïe !

Je coince mon poignard avec plus de force et le cou de Loki s'étire un peu. Ici, j'affronte à nouveau son regard. Mes yeux sont noirs, durcis par la colère et la culpabilité. Et il le sait très bien. On dirait même que c'est exactement ce qu'il voulait.

- Ne. Prononce. Plus jamais. Son nom. Plus jamais, tu m'entends !?

Finalement je jette mon poignard par terre et à la place, j'utilise mes poings. Je frappe le torse de Loki, encore, et encore, et encore sans qu'il essaie de se défendre. Il me laisse me défouler comme ça un long moment, durant lequel je cogne de toutes mes forces contre son haut et profite du fait que ça ne le fasse pas souffrir.

Je continue de frapper, jusqu'à être épuisée. Et là, je m'effondre. Pour la première fois de toute ma vie, je pleure. Je laisse les larmes couler sans que quiconque vienne me dire que je n'en ai pas le droit. Finalement, Loki glisse sa main derrière mon dos pour m'apporter un peu de réconfort. Je ne sais pas ce qui me prend, ça ne me ressemble pas. Je ne pleure pas, jamais. Et je n'ai pas non plus besoin de réconfort.

Pourtant je le laisse faire. Je laisse Loki me serrer dans ses bras et je continue de pleurer, jusqu'à ce qu'aucune larme ne puisse plus couler de mes yeux.

- Elle est morte. Nébula est morte.

- Ça va aller, chuchote en boucle Loki près de mon oreille. Ne t'en fais pas, ça va aller.