L'enfant du Mal

30- Quand tout change

Plus le temps passe, et plus les choses sont différentes. Je n'irais pas jusqu'à dire que je me plais ici, mais... je m'habitue à cet endroit. C'est calme, paisible, clair. Tout ce que je n'avais jamais connu auparavant. Et en plus, je suis libre, alors... Je ne sais pas ce que je peux attendre de plus de la vie. Je veux dire, je ne suis pas heureuse mais qu'est-ce que je suis sensée vouloir d'autre, au juste ?

Le matin quand le soleil se lève, j'ai pris l'habitude d'aller dans les hauteurs de la Nouvelle Asgard pour regarder les marchands s'activer en bas, sur le port. C'est assez pitoyable comme activité, je sais. Mais il n'y a pas grand-chose à faire ici, à part marcher, boire et dormir.

Quand j'arrive en haut du royaume aujourd'hui, je décide de m'asseoir un moment et de regarder le port en contrebas. Il n'y a pas beaucoup de bateaux, ni beaucoup de matelots dessus car la population d'Asgard a été vraiment amoindrie. Par mon père. Ça aussi, ça change de plus en plus. Je prends conscience de ce qu'est la vie de ceux qui sont de l'autre côté de la ligne. Ceux qui ne détruisent pas, mais qui vivent quand même la destruction en permanence. Ça n'a pas l'air forcément mieux que de causer les dégâts ; mais ces gens-là, au moins, ont la conscience tranquille.

Perdue dans mes pensées, c'est à peine si j'entends Nébula approcher de moi et venir s'asseoir à mes côtés. Ici, elle regarde le port à son tour et penche un peu la tête.

- Ces gens-là n'ont pas besoin de grand-chose. On leur a tout pris et pourtant, ils sont toujours là, ils se battent toujours. Thor était un bon roi mais Valkyrie en revanche... Elle est une incroyable reine.

C'est vrai, ils ont l'air heureux. Même si j'ai du mal à comprendre pourquoi.

- Et toi ?

Nébula se tourne vers moi, curieuse. Alors, je précise le sens de ma question.

- Toi, tu es heureuse ?

- Oh.

Elle baisse un peu la tête, esquisse un sourire faible, soupire.

- J'apprends à l'être. Il y a des gens ici qui m'y aident. Et je l'ai déjà été, pendant un temps. C'était court, mais... oui.

Alors pour la première fois depuis le début de mon existence, quelqu'un s'ouvre à moi. Nébula me fait part de ses pensées, de ses réflexions et j'écoute chaque mot avec attention. Je prends chaque mot comme un cadeau.

- Gamora et moi, me dit-elle, on n'a pas toujours été très proches. Mais avec le temps... notre relation s'est améliorée. Je l'ai rejoint, elle et les Gardiens de la Galaxie. Et pendant quelques temps, on était heureux.

- Jusqu'à Thanos, reprends-je en soupirant.

- Oui.

Nous regardons à nouveau les bateaux en contrebas, silencieuses. Eh oui, je sais. Je voudrais dire que je comprends ce qu'elle ressent et pourtant, c'est faux. Nébula a perdu sa soeur. Je ne sais pas ce que ça fait, de perdre quelqu'un. Même si je me suis accrochée à l'idée que j'avais perdu mon père, la vérité est qu'il m'a quittée bien avant de mourir. Et je ne peux pas comparer notre semblant de relation avec celle qu'ont entretenu Gamora et Nébula. Alors, même si je ne sais pas trop ce qui me prend, je me rapproche de cette dernière et pose une main compatissante sur son épaule. Nébula fronce les sourcils, mais ne donne pas d'autre réaction. Elle doit savoir que si elle le faisait, ce serait trop gênant pour moi.

- Je suis désolée, pour Gamora. Et je suis désolée que tu te retrouves toute seule.

Quand je prononce cette phrase, Nébula glisse sa main près de la mienne et la serre très fort.

- Je ne suis plus toute seule, maintenant.