Chapitre 3

98 15 12
                                    


    Abzal veillait depuis, désormais, deux semaines sur son petit corps agité par la transformation inhumaine qui s'y produisait.

Jour et nuit, il demeurait assis sur une chaise, les bras croisés, le regard éteint, épuisé. Personne d'autre ne pouvait pénétrer dans cette chambre, sauf autorisation.

Quand la douleur la faisait trembler, Abzal s'approchait en silence, posant sa main à l'endroit exact de la douleur, le devinant par lui-même, puis, attendait que le sommeil la regagne.

Ces journées n'en finissaient plus, et Bianca avait perdu beaucoup de force sous l'atrocité de ce changement. Son état était, plus vite qu'il ne le devait, devenu critique.

On avait eu beau lui répéter que c'était un passage normal, Charlotte ne parvenait à supporter l'image de sa fille mourante. Plus jamais elle n'était revenue la voir.



Un matin, alors que le soleil peinait à traverser la fenêtre de la chambre, un des clones vêtu d'une cape entra en trombe.

Alerté, et surpris, Abzal se retourna, dévoilant un visage marqué, pâli, et une barbe peu entretenue.


« Monseigneur, souffla l'homme à bout de souffle.

Abzal haussa un sourcil interrogateur.

-Votre épouse, reprit-il, toussotant. Elle a disparu. »

Ses yeux noisettes s'écarquillant, Abzal se leva à la hâte, un flot d'émotions diverses semblant l'envahir. Il serra les poings, et seule la respiration saccadée de Bianca résonnait dans la pièce.


Puis, comme s'il reprenait le contrôle, Abzal afficha une expression calme, et se rassit.


« Elle n'a pas réellement disparu, n'est-ce pas, interrogea-t-il froidement ?

L'homme de pourpre se rassit en douceur.

-Non, Monseigneur, articula-t-il. Il semblerait qu'elle se soit enfuie.

Un rictus désagréable passa sur le visage d'Abzal, tandis qu'il croisait sa jambe droite sur la gauche.

-Comment ?

-Nous n'avons retrouvé aucune trace de fuite, ou de lutte, expliqua l'homme. Les gardes n'ont pas quitté leur poste, et aucune porte ou fenêtre n'a été déverrouillée.

Abzal hocha lentement la tête.

-Quelle est votre théorie, V ?

Le dénommé V laissa échapper une grimace sur son visage à peine visible.

-Nous pensons qu'un des serviteurs lui a procuré un tube de téléportation.

Un long soupir passa dans la poitrine d'Abzal.

-Convoquez tous les serviteurs qui ont eu contact avec mon épouse, ordonna-t-il avec colère. Faites les interroger par les bourreaux. L'un d'eux finira forcément par craquer. Une fois fait, prenez soin de dissimuler le corps.

V acquiesça.

-Et concernant votre épouse...

-N'envoyez personne à sa recherche, aboya Abzal. J'ai mes raisons. »


Sans un mot de plus, l'homme de pourpre quitta la pièce.

Abzal refit de nouveau face à sa fille. Comme si elle comprenait ce qui venait de se passer, son cœur s'accéléra, ainsi que sa respiration. Les gouttes de sueur qui ruisselaient sur son front se firent plus intenses.

Son père passa sa main chaude sur le corps de sa fille.


« Il semblerait que ta mère ait préféré nous abandonner, ma chérie, murmura-t-il. L'amour laisse souvent place à la déception, tu le découvriras très rapidement. »

Quelques jours plus tard, Abzal avait quitté, pour la première fois depuis des jours, la chambre de sa fille.

Il était revenu à la nuit tombée, le regard vide, les épaules affaissées, se laissant lourdement tomber sur la chaise de bois.

Éreinté, il laissa son index zigzaguer sur le corps endolori de son enfant, se penchant doucement pour s'approcher de son oreille droite.

« Nous avons rétabli ce qui devait être, chuchota-t-il. Celle qui vient de te rendre orpheline de mère a été punie par la sanction suprême. J'ai pris soin de faire vengeance en ton nom. »


Un gémissement douloureux s'échappa du corps de Bianca. Sa respiration devint haletante.

Abzal essuya ses larmes de revers de la main.


« Ne t'en fais pas, reprit-il. Je ne te laisserai jamais, je t'en fais la promesse. Quoi qu'il arrive, et quels qu'en soient les moyens, je saurai demeurer à tes côtés.


Il marqua une pause.


-Ta mère a eu peur de ce que tu es devenue...elle n'a pas réalisé à quel point il est une chance de côtoyer la puissance à l'état pur. Celle dont tu disposes désormais. »

Abzal embrassa tendrement son front brûlant de fièvre, y laissant une trace humide.

« Repose toi, désormais. Je prendrai soin d'effacer chacune de tes souffrances, affirma-t-il, avant de quitter la pièce en douceur.»

Tout au long de sa vie, Abzal aura fait en sorte que Bianca oublie son chagrin...à sa manière.

Lorsque Bianca quitta finalement son alitement, quelques semaines plus tard, elle ne possédait aucune cicatrice de son intervention, mais surtout, aucun souvenir de sa vie.

Visage de l'oubliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant