J'ai du mal à croire que 24 heures plus tôt la cuisine était remplie de rires, de conversations joyeuses et légères. Notre petit déjeuner de ce matin ne ressemble absolument pas à la veille. On fixe nos assiettes, tentant d'ignorer les trop nombreuses chaises vides. On a les traits tirés et aucun de nous n'a réussi à fermer l'œil de la nuit. On est resté assis dans le salon, attendant que la nuit passe, incapable d'aller chercher du repos. Chaque fois que je ferme les yeux, c'est pour voir mes amis, ma famille dans la cave, vivant ce que j'ai vécu il y a quelques années.
Le message du monstre est clair, je dois venir le retrouver, aller le rejoindre pour qu'ils vivent et je le ferai sans problème. Non, le souci est que malgré tous mes efforts, je n'arrive pas à me souvenir, je ne sais pas où se trouve la maison, je ne sais pas qui est le monstre et chaque fois que j'essaie de forcer, la panique m'oppresse.
— Tu as eu des nouvelles Namtan ?
Mon oncle finit par rompre le silence qui dure depuis des heures maintenant. Instinctivement, j'attrape la main de Ohm qui, comme à son d'habitude, est assis à côté de moi. J'aimerais qu'elle nous dise qu'ils en ont, qu'ils ont une piste et qu'ils sont sur le point de l'attraper. Évidemment, je sais déjà que c'est impossible, elle ne garderait pas une telle information pour elle.
Elle se redresse, un peu perdue, et regarde autour d'elle avant de s'éclaircir la voix. Même si elle est policière, même si elle a été formée pour gérer ce genre de situation, elle est aussi atteinte par la disparition de la moitié de notre groupe.
— Ils ont réussi à déterminer comment les choses s'étaient déroulées, mais ils n'ont aucun indice qui servirait à nous approcher du ravisseur.
Elle se passe les mains dans les cheveux avant de se frotter le visage pour essayer de se réveiller un peu.
— Raconte-nous.
La voix de Nine est blanche et quand je me tourne vers lui, je sens mon cœur se serrer. Il semble terriblement mal et je ne peux rien faire de plus que de prendre sa main pour tenter de lui apporter un peu de réconfort. On se sourit, mais lui comme moi le perdons rapidement, c'est trop dur de paraître aller bien, quand on a déjà du mal à se retenir de pleurer.
— Le ou les ravisseurs se sont déjà attaqués à Joss, Jong et Chermarn...
Nine et Ohm serrent brusquement chacune de mes mains et je grimace légèrement, mais au lieu de chercher à me soustraire, je les tiens plus fermement.
— Je pense qu'il... qu'il a mis Joss hors d'état de nuire avant de menacer Chermarn. Sur place, on a retrouvé des dards provenant des munitions de taser. C'est l'arme la plus logique pour maîtriser autant de personnes en si peu de temps.
J'avale difficilement ma salive. Dans ma tête, j'arrive à les imaginer, cette ombre noir fondant sur eux, dangereuse et sans pitié.
— Grâce au ticket de caisse et aux caméras dans le magasin, on sait que Boun et Prem ont été pris en deuxième. Malheureusement, comme pour l'hôpital, la voiture se situait dans une zone non couverte. Ils sont en train d'analyser le sang, mais... il y a de forte chance pour qu'il appartienne à l'un des deux garçons.
Sa voix s'éteint d'elle-même et le silence retombe dans la pièce, tout juste brisé par le bruit de nos couverts. Aucun de nous n'a réellement d'appétit et on joue plus avec la nourriture qu'autre chose. Je lève discrètement la tête et observe chacun d'eux et je sens une profonde bouffée de culpabilité m'étreindre. Une fois de plus, tout est de ma faute et le fait que je n'arrive pas à me souvenir est en train de me rendre fou. J'ai la réponse quelque part dans ma tête, mais impossible d'y accéder. Je me lève soudain de ma chaise, les faisant tous sursauter quand elle racle bruyamment sur le carrelage.