On est enfin vendredi, je n'ai jamais attendu le week-end avec autant d'impatience, car pendant deux jours, je sais que je serai avec eux. C'est assez étrange à vivre, mais être seul la journée devient de plus en plus pesant, alors qu'avant, j'aurais tout donné pour vivre seul et ne jamais croiser qui que ce soit. Ohm, Joong et moi sommes tous les trois installés à la table de la cuisine devant un copieux petit déjeuner. C'est rapidement devenu un rituel de manger tous les trois ensemble et je me surprends à vraiment aimer le faire, même si j'ai encore du mal à manger, je ne rate quasiment plus aucun petit déjeuner. Pourtant ce matin, j'ai la surprise de voir leur mère se joindre à nous, c'est assez inhabituel et j'en comprends rapidement la raison.
Elle est en train de boire un café, nous observant manger en silence quand, après avoir fait tourner sa tasse un petit moment entre ses doigts, elle finit par lâcher le morceau.
— Fluke, tu as rendez-vous en fin de matinée chez un psychologue qu'un confrère m'a conseillé. J'aurais aimé t'accompagner, mais je ne peux pas avec le travail, c'est Ohm qui va s'en charger.
Je sens qu'un instant tout le monde se fige, il faut dire, la dernière fois que l'on a parlé de ce rendez vous, je me suis emporté. Je sens leur regard se poser sur moi, mais je ne lève pas les yeux de mon assiette, je l'ai à peine touché et je sais que je n'arriverai pas à manger une bouchée de plus.
Ma main est crispée sur ma fourchette, mes jointures en sont toutes blanches et je tremble légèrement. Je voudrais pouvoir hurler, laisser la colère et la peur ressortir verbalement, seulement, j'en suis incapable, je peux juste rester assis et muet. J'en veux à mon oncle, je ne sais pas ce qu'il leur a raconté, mais moi, je ne veux pas y aller à ce rendez-vous. Je suis adulte, il devrait m'écouter quand je dis non. Je me stoppe alors et soupire, relâchant la pression sur ce pauvre couvert qui n'a rien demandé à personne. Non, je ne suis pas un adulte, je me comporte souvent comme un enfant qui préfère fuir les problèmes.
Il me faut quelques minutes pour réussir à relever la tête et croiser le regard anxieux de Chermarn et je m'en veux de lui infliger ça alors qu'elle fait tout pour m'aider. Elle semble un peu troublée par mon regard, mais elle finit par se détendre, quand je fais un petit sourire et acquiesce. Le repas se termine en silence, il n'est pas désagréable, mais tout le monde semble perdu dans ses pensées et aucun d'eux ne me fait de remarque sur le fait que je ne mange absolument pas.
Je me suis enfermé dans ma chambre tout de suite après le repas, je me suis caché sous ma couette, m'enfermant dans un petit cocon de chaleur et de protection. Je me sens en sécurité et ça permet de laisser à l'extérieur la panique qui ne manque pas de me saisir à chaque fois que je pense à ce qui m'attends dans quelques heures. Je dois avouer que j'espère aussi qu'en faisant cela, Ohm m'oublie et que je ne me retrouve pas à devoir affronter de nouveau tout ça devant un inconnu qui jaugera chacun de mes gestes et expressions. Pourtant, tous mes espoirs volent en éclat quand exactement trente minutes avant l'heure du rendez-vous, plusieurs coups sont frappés à ma porte. Je sors doucement la tête hors de ma couette et croise le regard du brun appuyé au chambranle et si mon coeur s'emballe cette fois-ci ce n'est pas à cause du rendez-vous, mais bien à cause de lui.
— Il est l'heure, il faut y aller.
Il m'observe avec un petit sourire en coin alors que moi je soupire, je prends tout mon temps pour me lever et finir de me préparer, dans l'optique de peut-être arriver en retard et donc je fais mine de chercher mes affaires alors qu'elles sont sous mon nez ce qui finit par le faire rire. Il se penche alors pour me parler à l'oreille et un long frisson court le long de ma colonne vertébrale.
— Même si tu prends tout ton temps, on ne sera pas en retard.
Je soupire et mes épaules s'affaissent. Très bien, il a gagné, je finis rapidement de me préparer avant de lui faire un petit signe comme quoi je suis prêt. Il ébouriffe mes cheveux tout en souriant tendrement alors que mon coeur bat à tout rompre à l'idée de quitter la sécurité de la maison. J'attrape sans y penser le bas de son t-shirt, ça me rassure de serrer le tissus fin entre mes mains. Il ne prononce pas un mot, il ne montre pas que ce geste le gène, cette situation semble presque naturelle, il me guide jusqu'à la voiture que nous allons prendre pour nous rendre au rendez-vous. Il m'ouvre la portière et saisit une de mes mains pour la serrer dans la sienne.