Je ne me souviens pas vraiment de ce qui s'est passé après avoir découvert cette lettre, après avoir vu cette photo, c'est le trou noir. C'est une tempête qui fait rage dans ma boite crânienne alors que les mots écrits de la main de ma mère me reviennent comme autant de flèche faites pour me blesser. Je n'arrive pas à croire que c'est réel, que ma mère toujours si droite, si prompte à juger ait pu faire ça.
Et puis soudain, je me mets à trembler, comme si j'étais sur un marteau piqueur alors que la vérité se fait encore plus horrible. Mon père pourrait... je n'arrive même pas à le formuler dans ma tête, c'est inconcevable pour moi. Mes jambes me lâchent brusquement et je me retrouve accroupi au milieu de la rue, je garde la tête baissée, fixant les cailloux entre mes chaussures pour essayer de reprendre mes esprits.
Je dois lui parler, je dois lui demander, je dois en avoir le cœur net. Je prends une profonde inspiration avant de me relever brusquement, je regarde autour de moi et je suis surpris de me rendre compte que la nuit est en train de tomber, que je suis dans une partie éloignée du centre ville et que plusieurs passants me regardent étrangement. Ils ont sans doute peur que je perde la tête.
Je me passe la main dans les cheveux à plusieurs reprises pour essayer de m'éclaircir les idées. Une vibration dans ma poche me fait légèrement sursauter, mais je n'y prête pas attention. J'ai une idée de qui est en train de m'appeler, je l'aime de tout mon cœur, mais je ne peux pas l'entendre émettre cette hypothèse. C'est impossible, je dois d'abord parler à mon père, je dois être sûr que cette lettre est vraie, je...
Je prends une profonde inspiration en regardant autour de moi plus attentivement pour essayer de me situer. Je me rends compte que finalement je ne suis qu'à quelques kilomètres de chez moi. Dans mon errance, j'ai réussi à me diriger vers là où je voulais aller. Nouvelles vibrations et je soupire avant de lentement sortir mon téléphone de ma poche. Autour de moi, les passants ont arrêté de m'observer en voyant que j'avais retrouvé mon calme et ils ont repris leurs occupations.
Comme je m'y attendais, c'est Namtan. Elle a déjà appelé plus d'une dizaine de fois et m'a inondé de message. Je ne suis pas surpris quand je vois l'heure, je suis en vadrouille depuis plusieurs heures. J'hésite un moment, répondre, raccrocher, mon pouce oscille d'une touche à l'autre avant de soupirer quand la vibration s'arrête d'elle-même.
Je remets rapidement le téléphone dans ma poche, mes épaules se redressent et j'arrive à reprendre le contrôle, je dois aller voir mon père, je dois rester calme et professionnel et ne pas laisser mes émotions prendre le dessus quand je lui demanderai s'il est responsable de la mort de la famille de Fluke.
La nuit est complètement tombée quand j'arrive dans la rue qui m'a vue grandir et l'orage qui menaçait en nous écrasant sous une chaleur moite semble décidé à éclater. Le grondement se fait entendre au loin et, quand un éclair zèbre le ciel, les premières gouttes froides et rafraîchissantes tombent.
Je sens à peine l'eau qui s'insinue dans le tissu de mes vêtements. Encore quelques mètres et j'apercevrai ma maison. Je devrai alors faire face à la vérité et je deviendrai peut-être le fils d'un meurtrier. Comment pourrais-je regarder Fluke en face, sans parler de Namtan et...
— Mais où est-ce que tu étais passé ?
Sa voix s'élève, elle est en colère et sa poigne sur mon bras alors qu'elle me force à me tourner pour lui faire face est légèrement douloureuse. Nos regards se croisent et ma poitrine se serre, je veux la prendre dans mes bras, je veux continuer à être fort et à être celui qui la rassure, mais à cet instant, j'ai plus l'impression d'être un enfant perdu, je suis celui qui a besoin d'être rassuré car mon monde est en train de s'écrouler.
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