Chapitre 2 : Travel.

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J'ai l'impression de vivre un mauvais rêve depuis que mon oncle est rentré l'autre soir, depuis qu'il m'a annoncé vouloir me faire partir chez sa soeur. Sauf que là, contrairement à mes cauchemars habituels, rien ne vient me réveiller, je ne peux pas essayer d'oublier alors que chaque minute de la journée me rappelle ce qui est en train de se passer.

Mon oncle a tenu parole, il ne s'est pas laissé attendrir par toutes mes tentatives pour le faire plier. Il est resté focalisé sur son idée, il veut que je passe le temps de son absence à Phattalung. La veille, il l'a passé à tout organiser, il a préparé notre voyage, il a contacté sa soeur et surtout il s'est chargé de préparer mes bagages. Il me l'a demandé plusieurs fois, mais je refusais de m'y mettre, me contentant de fixer la valise posée sur mon lit d'un air boudeur.

Je sais que c'est assez immature de ma part, mais c'est ma manière de lui faire comprendre que je suis contre ce voyage, que je ne veux pas aller là-bas et que je ne l'aiderai pas à m'y amener. Je ne suis pas très sympa sur ce coup-là mais je veux rester ici dans cette maison où je me sens en sécurité. Comment peut-il imaginer que retourner là-bas va m'aider à parler de nouveau et à avoir envie de faire autre chose que de regarder le monde de derrière une fenêtre.

Pourtant, quand je me réveille peu de temps après minuit et qu'il m'annonce qu'il est temps de se mettre en route, je ne dis rien et me lève. Alors, même si j'ai l'impression de suffoquer et que la peur me scie les jambes, je monte en silence dans la voiture. J'aurais pu me laisser traîner, m'enfermer dans ma salle de bain, en bref, tout faire pour ne pas partir.

Seulement, je ne peux pas aller si loin. Après tout, c'est lui qui, depuis mon réveil à l'hôpital, fait tout pour moi, pour me rendre la vie la plus facile et espérer un jour me voir guérir. C'est la raison pour laquelle, je suis monté de moi-même dans la voiture et n'ai pas fait d'histoire. J'ai perdu la bataille et il semble tellement heureux d'aller voir à sa soeur, qui d'après ses dires est très heureuse de m'accueillir.

Il démarre la voiture et c'est parti pour un très long voyage, presque douze heures, alors qu'il n'aurait fallu qu'une poignée d'heures en avion. Encore une fois, il me fait passer avant lui, il va s'épuiser à conduire sur cette longue distance avant de repartir pour Bangkok en avion dans la foulée pour ensuite partir en Europe. Je soupire car je sais qu'il ne peut pas faire autrement, il y a sept ans, il a réservé un vol pour Bangkok, nous sommes entrés dans l'aéroport, mais il a dû me faire rapidement sortir à cause d'une crise de panique, nous avons alors dû louer une voiture et faire le trajet comme aujourd'hui, mais dans le sens inverse.

Ma poitrine se serre, je reconnais ce sentiment aussitôt, il m'est familier maintenant, la culpabilité, elle est devenue comme une vieille amie avec le temps. Au début, c'était la culpabilité d'avoir survécu, de ne pas avoir rejoint ma famille, puis la culpabilité de ne pas être capable de reconnaître celui qui me l'avait enlevé. Aujourd'hui, c'est parce que pour moi, cet homme a mis toute sa vie entre parenthèses, il a mis sa vie de côté, il s'est plongé dans le travail pour que je puisse vivre sans me soucier de l'argent, il n'est sorti avec personne pour se consacrer à moi et une fois encore j'ai l'impression de ne pas faire assez pour m'en sortir.

A cette heure de la nuit, la route est pratiquement déserte, il ne faut pas très longtemps pour qu'il quitte la ville, laissant les lumières rassurantes derrière nous. Il s'engage sur l'autoroute sombre, nous menant vers mon enfer personnel. Je prends une profonde inspiration, peut-être qu'il y a un moyen pour qu'il fasse demi-tour, pour qu'il me ramène à la maison. Il veut que j'aille là-bas, persuadé que cela m'aidera à aller mieux et si... j'arrive à parler, à le remercier pour tout ce qu'il fait pour moi, alors peut-être qu'il me laissera vivre seul chez nous le temps de son absence. Lui dire merci, de ma propre voix, pas un mot griffonné sur cette ardoise que j'ai appris à détester avec le temps.

Far From Hell, Close To Heaven.Where stories live. Discover now