Je ne sais pas si nous sommes le jour ou la nuit, la crasse qui enduit la petite lucarne située juste au-dessus de moi, ne laisse jamais filtrer la lumière. Au début, j'ai essayé de garder un repère, de compter les jours que nous avons passés dans cette cave, mais maintenant je ne peux pas dire depuis combien de temps je suis prostré dans un coin. J'ai l'impression d'être là depuis toujours, que mes souvenirs de ma vie d'avant ne sont qu'un doux rêve et qu'ils n'ont jamais vraiment existé.
Au début mes muscles me faisaient mal à rester dans cette position, au moins je savais que j'étais vivant, mais maintenant, ils ne me font même plus mal. Pour le moment, la seule chose dont j'ai réellement conscience, c'est de la peur qui m'habite et qui remonte le long de ma colonne vertébrale, comme une main glacée qui me fait trembler en permanence. Je tente de disparaître dans l'ombre, de me faire le plus petit possible, mais je sais que même dans ce coin sombre, il me trouvera. Nous avons tous essayé de nous cacher, mais il les a tous trouvés. Pourtant, je m'accroche à cet espoir, peut-être que je vais devenir invisible, ou alors je serai capable d'entrer dans ce mur dont les pierres me rentrent dans le dos, l'entaillant par endroit.
Un long hurlement déchire brusquement le silence, je sursaute et mon coeur remonte dans ma gorge, il me faut quelques secondes avant de me rendre compte que je crie aussi. Je me mords brutalement la lèvre, la faisant saigner, mais je le remarque à peine, si ce n'est grâce au goût métallique qui envahit ma bouche. J'ai l'impression de devenir fou, je me bouche les oreilles pour tenter d'étouffer les cris qui me brisent le cœur, chaque modulation du son est comme un poignard qui me blesse irrémédiablement.
Malgré tout, je l'entends toujours, un hurlement de douleur qui semble ne jamais vouloir s'arrêter, je donnerais tout pour ne plus l'entendre, je voudrais être sourd à cet instant. Je pose mon front contre mes genoux et je sens des larmes couler sur mes joues, laissant des sillons à travers la saleté qui couvre mes joues et une sensation de brûlure désagréable car elle me fait prendre conscience que j'ai froid.
J'ai l'impression que ça dure pendant des heures, avant que les hurlements faiblissent, s'estompent, puis que le silence retombe, je n'entends plus que le ploc ploc régulier des gouttes du robinet qui se trouve un peu plus loin dans la pièce. Mes larmes, elles, continuent de glisser sur ma peau, je ne peux rien faire pour les calmer, pire encore, je sens d'énormes sanglots gonfler dans ma poitrine et sortir violemment à travers mes lèvres gercées. Je plaque mes mains sur ma bouche pour étouffer le bruit, je tente de respirer profondément pour calmer la vague de panique qui m'étreint de ses doigts brûlant.
Je tente de rapprocher mes genoux encore plus près de moi, tentant de me faire encore plus petit que je ne le suis vraiment. J'ignore le bruit métallique de la chaîne qui m'empêche de me déplacer librement et me retient dans cet enfer. Ma cheville est en sang, car au début j'ai tenté en vain de me libérer, j'ai passé des heures à tirer dessus comme si elle allait céder comme par magie, mais maintenant je ne ressens même plus la douleur, la peur surpasse tout le reste.
Des bruits de pas se font soudainement entendre et ma respiration qui était rapide jusque là, se paralyse d'un coup, mes sanglots se bloquent douloureusement dans ma poitrine et je ferme les yeux le plus fort possible. Je voudrais me réveiller, me rendre compte que je viens de vivre un long cauchemar. Je serais allongé dans mon lit, couché entre mes draps, Mes parents seraient dans leur chambre endormis et alors, même si je suis grand, j'irais les rejoindre et ma mère aurait les gestes et les mots pour m'apaiser.
Je me raccroche à cette image alors que les pas se rapprochent petit à petit, dans sa démarche, je peux dire qu'il boite car régulièrement, il y a un frottement qui se fait entendre, léger, mais pourtant bien présent. Il est juste derrière la porte, j'entends d'ici sa respiration sifflante alors qu'un cliquètement se fait entendre. Un gémissement sort de ma bouche alors qu'il râle et semble avoir du mal avec le cadenas, un instant un espoir fou gonfle ma poitrine, et s'il n'arrivait plus à ouvrir la porte, mourir de faim ici serait sûrement plus doux qu'entre ses mains.