Il me fait un sourire encourageant et s'avance sans attendre vers le perron de la maison. Je me précipite alors pour le rejoindre, je ne veux pas rester seul dehors, ça c'est trop difficile. J'ai alors un geste qui me semble tellement naturel pour moi, mais que les étrangers regardent bizarrement quand il m'emmène au cabinet du psychologue. C'est une autre chose sur laquelle il n'a jamais céder, il se fatigue semaine après semaine à m'emmener là-bas, parce qu'il pense qu'une sortie m'aidera à surmonter mes peurs. J'attrape le bas de son pull, serrant le tissu fermement entre mes doigts puis je baisse la tête et fixe mes pieds en le laissant me guider vers la porte.
Je ne regarde jamais autour de moi, je lui fais totalement confiance pour m'emmener là où je dois aller. C'est aussi un bon moyen pour moi de faire abstraction de l'extérieur, de ne pas penser aux mille dangers qui m'entourent et comment le monde peut m'agresser à tout moment. Je me tiens à lui pour deux raisons, la première est que je ne veux pas me prendre un poteau dans le nez parce que je ne regarde pas où je marche. La seconde est plus primaire encore, me tenir ainsi à son dos, me permet d'être caché et ainsi je me sens plus en sécurité. S'il a été surpris les premières fois où je l'ai fait, maintenant il est habitué et n'y pense même plus.
Arrivé devant la porte, il s'arrête et sonne, je sais pourtant qu'habituellement, il rentre dans la maison sans attendre. Qu'il va tout de suite saluer sa soeur et ses neveux, pour passer le plus de temps possible avec eux. Je sais qu'il fait ça une fois de plus pour ne pas me brusquer, il a parlé avec sa soeur, il lui a expliqué ma situation, ma... maladie, alors je sais que chacun doit se placer pour ne pas m'effrayer et une fois de plus, revoilà ma bonne amie la culpabilité, qui me chuchote à l'oreille, que je ne suis qu'un poids pour tous ceux qui m'approchent.
La porte s'ouvre au bout de quelques secondes, la femme je la reconnais, la soeur de mon oncle, elle est tout le contraire de son frère, toute menue, elle fait à peu près ma taille là où son frère nous dépasse largement. Elle est brune, son visage est rond, jovial et doux, ce genre de visage qui vous met aussitôt en confiance. C'est d'elle que je me souviens le plus clairement, il faut dire qu'elle a passé des heures auprès de moi, elle s'est toujours montrée très patiente avec moi presque maternelle et je me souviens comment je l'ai souvent repoussée parce que ce n'était pas elle que je voulais à l'époque, mais ma mère. Pourtant, quand nos regards se croisent, je ne vois aucun ressentiment dans ses yeux, elle me sourit avec cette même tendresse et je me contente de lui faire un petit signe de tête, mais je n'arrive pas à sourire, car la peur me paralyse complètement.
— Tu es enfin là ! Je suis contente de te voir, même si ce n'est que quelques heures.
Sa voix est à l'image de son visage, elle est douce et j'ai du mal à l'imaginer se mettre en colère. Je baisse les yeux un instant, à cause de moi, elle ne peut pas voir son frère aussi souvent qu'elle le voudrait, il a quitté la ville à cause de moi et ne revient jamais car je ne veux pas venir ici. Je soupire à nouveau et j'ai la nette impression que la culpabilité va exploser pendant mon séjour ici.
Elle entend mon soupir et se tourne vers moi, son visage s'adoucit encore plus si c'est possible. Elle est amicale alors que son sourire s'agrandit, pourtant, elle reste à bonne distance, elle ne cherche pas à s'approcher de moi. Mon oncle a dû leur expliquer qu'il me fallait du temps pour me laisser approcher, que je peux faire des crises dans le cas contraire et quelque part j'en ressens de la honte, car une nouvelle fois, cela souligne bien combien je ne suis pas comme les autres.
— Fluke, je suis heureuse de te revoir. Tu as l'air en forme.
Je prends une profonde inspiration, car un instant je voudrais tenter de lui dire bonjour à haute voix, de montrer que j'en suis capable et que je peux être comme les autres. Seulement mon oncle me lance un regard d'avertissement, je ne dois pas forcer sur ma voix. Je me mordille la lèvre, m'empêchant de lever les yeux au ciel, puis je lâche rapidement son pull, fait un waii silencieux en direction de sa soeur, puis me raccroche aussitôt à lui.