Chapitre trente : La lettre

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« Peut-on influencer le destin ? Doit-on seulement essayer ? Et ce faisant, ne risque-t-on pas d'assurer la réalisation de ce qu'on a vu ? Je suis déchiré, comme toujours, entre l'action et l'inaction. Comment savoir quelle voie fera une différence ? Ou s'il est même possible de faire une différence ? Pourtant, je continue de rédiger ce journal. N'est-ce pas une tentative visant à changer ce que j'ai vu ? »

Altaïr Ibn La'had



Novembre 2017, Planque des Assassins, Londres



20 novembre,

Ceci est ma dernière entrée. J'ai tellement de choses à dire et si peu de place. Par où commencer ?

Excellente question. Entre les révélations spectaculaires de Minerve, sa crise, ses retrouvailles avec Kassandra et la prise de conscience qui en avait résulté, ces trois derniers jours n'avaient pas été de tout repos. Lorsqu'elle eut terminé son résumé, il lui restait très peu de place pour évoquer son plus gros souci, celui qui la maintenait éveillée depuis son retour.

Ma vie ne m'a jamais appartenu. Chacun de mes actes, chacune de mes décisions m'a conduite ici. Je m'y suis enfin résignée. Les derniers doutes qui m'habitaient se sont envolés avec la lettre.

Parce qu'elle avait saigné abondamment du nez, Morgane avait taché sa chemise blanche. Kassandra s'en était aperçue et la lui avait ôtée pour la laver. D'où la robe. Une fois rhabillée, elle avait machinalement plongé les mains dans les poches de son manteau. Incroyable comme un petit geste de rien du tout suffit pour tout faire basculer.

Je l'avais prise pour me porter chance. À cause de la date. Cette satanée date. J'y ai vu un signe. La Capsule peut puiser dans mon énergie autant qu'elle le veut, j'y survivrais. Je n'ai pas à craindre de mourir puisque le 21 décembre je serais encore de ce monde pour ouvrir l'enveloppe. Tu parles... Le signe n'était que dans ma tête.


Tout était parti de l'heure. Ne pas ouvrir avant le 21 décembre 2017, 19h35. La date, passait encore, mais l'heure ? À quoi bon la spécifier ? Quelle importance qu'elle l'ouvre à 19h34 ou 19h36 ? Elle pouvait tout aussi bien l'ouvrir maintenant comme ne pas l'ouvrir du tout. Je te déconseille de l'ouvrir, lui avait dit Kassandra. Tu n'aurais pas cherché à t'avertir sans une bonne raison. Cette date et cette heure doivent avoir une grande importance pour ton avenir.

Autant lui agiter un chiffon rouge devant les yeux.

Je ne l'avais pas réalisé mais une minuscule part de moi-même s'accrochait désespérément à mon libre-arbitre. J'avais accepté l'idée qu'un ensemble de circonstances, sur lesquelles je n'avais aucun contrôle, avait guidé mes pas. Par contre, accepter que ma vie toute entière ait été, est et sera régentée par le destin... Je n'y parvenais pas.

Lors de sa première lecture, les mots refusaient de s'imprimer dans son esprit. Elle l'avait relue. Encore et encore. Puis, quand chaque phrase fut gravée au fer rouge dans sa mémoire, elle avait déchiré la lettre avant de planter là une Kassandra déconcertée.


Une goutte d'eau vint s'écraser sur le paragraphe que Morgane venait de terminer. La gorge nouée, elle continua d'écrire. Un dernier effort, s'encouragea-t-elle. La fin est proche.

Connaître son avenir est un fantasme récurrent, au même titre que devenir invisible ou pouvoir lire dans les pensées. Dans les films de science-fiction, il n'est pas rare de voir le héros déterminé à changer son futur pour sauver le monde ou la femme qu'il aime. Et il y arrive. Évidemment... Dans la fiction, tout est possible. La réalité est bien plus terrible. J'ignore ce que l'avenir me réserve mais ce que j'en sais me terrifie.

La vie est une route. Qu'elle soit une ligne droite toute simple, sinueuse, pleine d'embranchements, de voies sans issue, de détours, il nous faut la suivre où qu'elle nous mène.

Quel qu'en soit le prix.

Tout le temps où elle écrivait, le contenu de la lettre tournait en boucle dans sa tête. Morgane avait fait de son mieux pour la maintenir à distance, le temps de mettre un point final à son histoire. À présent que c'était fait, il revenait à la charge, forçant le barrage mental qu'elle avait construit pour se préserver. De guerre lasse, elle s'y abandonna.



Je me rappelle l'état d'esprit dans lequel tu te trouves en ce moment. À deux doigts d'accepter l'inacceptable. Pourtant, tu résistes, pour la forme. Tu considères cette lettre comme un acte de rébellion. Tu es en train de la lire parce que tu penses avoir choisi de la lire. Tu as tout faux. Tu lis cette lettre parce que tu ne pouvais la lire ni plus tôt ni plus tard.

J'aurais pu choisir n'importe quelle date. La finalité aurait été la même. Le 21 décembre me semble plus approprié pour appuyer ma démonstration. Le choix de Desmond. C'est bien de cela dont il s'agit, n'est-ce pas ? Il a choisi de ne pas suivre Minerve et tu veux suivre son exemple. Laisser l'éruption solaire frapper la Terre ou donner sa vie pour la préserver n'a rien d'un choix. Toutes les personnes présentes dans le Temple auraient pris la même décision, toi la première. Tu le sais. Tu l'as toujours su.

Le libre-arbitre n'est qu'une illusion. Regarde où il a conduit Desmond. Il s'est détourné de son héritage d'Assassin pour mener une vie normale et comment est-il mort ? En Assassin. Tel était son destin.

Tu ne vas pas apprécier ce qui va suivre et je sais que tu n'en tiendras pas compte. Je sais aussi que cela va te hanter comme jamais et tu te maudiras d'avoir lu cette lettre. Tu me maudiras pour l'avoir écrite. Il ne sert à rien de sauver Charlotte mais tu dois le faire. Tout le reste en dépend. C'est cela, notre destin.

Tu essaieras de t'y opposer, je ne le sais que trop. Nous ne supportons pas l'injustice et rien n'est plus injuste que la mort de Charlotte. Tu ne dois pas céder. Tu ne ferais qu'aggraver la situation. On dit que le temps guérit toutes les blessures. C'est archi faux. Le temps est un salopard vicieux qui prend son pied à nous voir souffrir.

Une dernière chose. L'énigme de Kassandra. « La question n'est pas comment mais quand. Pour trouver où, Minerve te guidera ». À l'époque, nous ne pouvions pas le savoir mais notre vision était faussée. Exactement comme pour le journal. Nous nous sommes raccrochées à la première explication parce qu'elle était la plus raisonnable, la plus sensée, la moins prise de tête. Quoiqu'il arrive, ne refais surtout pas avec Charlotte le coup du journal. La solution la plus évidente n'est pas toujours la meilleure.

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