Des cicatrices.
De très larges cicatrices sillonnaient son torse entier, rose encore. Ces sinistres marques, plus profondes encore sur le haut du nombril, se perdaient légèrement à l'extrémité de ses clavicules, comme de maigres fleuves prêts à se jeter dans l'océan.
Sous le choc, je n'écoutais ni les battements saccadés de mon cœur qui s'affolait dans ma poitrine, ni la petit voix dans ma tête qui me soufflait de décamper. Au contraire, je scrutai chaque détail de ces blessures déroutantes avec munition, sans un mot, toujours affalée sur ses genoux.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'était pas les cicatrices en elles-mêmes qui me filaient la chair de poule. Malgré mon apparence de jeune fille de couvent, et même si je n'avais jamais fait causette avec des truands abonnés aux règlements de compte, j'avais déjà côtoyé ce genre de marques plusieurs fois dans le passé.
Ces trois dernières années, j'avais passé la moitié de mon temps à éplucher mes manuels de médecine à la lettre, et à compter chaque ligne surlignée de mes fiches de révision bristol pour n'oublier aucune information. Quand les enfants commandaient des play-mobiles ou des poupées pour Noël, moi je renouvelais mon stock de stéthoscope en plastique et de nouvelles version du jeu Docteur Maboul. Cette passion frôlait presque l'obsession, et alors que les adultes me regardaient faire avec émerveillement, les mômes en riaient souvent (silencieusement bien sûr, car dans le cas contraire, j'aurais été ravie d'enfin trouver un support pour tester mon faux scalpel).
À ce jour, je pouvais donc affirmer avec certitude que les blessures ici présentes, tachées de marron sur les contours et encore moyennement creusées, dataient d'au moins une dizaine d'années. Les marques demeuraient longues, légèrement recourbées vers l'extérieur, comme si jamais elle n'avaient été recousues, et particulièrement fines, du moins suffisamment pour garantir qu'un objet tranchant était à l'origine de leur existence.
Troublée, je cogitai. Bien que j'avais toujours détesté tirer des conclusions hâtives, à cet instant, seule une explication bancale ne sauta aux yeux : cet homme baignait dans ce dangereux milieu depuis l'enfance, et n'agissait donc sûrement pas seul.
Non mais franchement ! Bravo l'éducation quoi !
Voilà donc pourquoi il faut toujours penser à la capote lors du passage à l'acte : cette petite trouvaille évite de produire ce genre d'erreurs.
Alors que je me demandais pourquoi il n'existait pas de préservatif à la connerie humaine, je suivis des yeux l'assassin tandis qu'il renversait la tête en arrière. Lorsque mon regard croisa à nouveau le sien, mon monde ne se réduit plus qu'à ces deux billes noires aussi désinvoltes qu'expressives, avec tout l'arrière-plan flouté autour de nous, un peu comme dans le focus d'une caméra.
Quelque chose avait changé dans son expression. Ses épaules s'affaissèrent, et ses yeux d'ordinaire perçants, maintenant égarés, m'enveloppèrent de silence. Ils restaient toujours scotchés aux miens, mais ils ne me regardaient pas.
Comme déconnectée du monde qui m'entourait, j'approchai lentement une main tremblante de son torse blafard, qui frémit sous mon œil scrutateur. Son air presque désorienté aurait dû me freiner, mais j'agissais contre ma volonté, telle un pantin.
Le temps se figea quelques secondes. Il ne restait plus que lui, moi, et cette peau mutilée, cette peau qui, en plus de lui effacer sa violente haine habituelle, était ce qui le rendait le plus humain.
— Je...
Malgré moi, je m'adressai à lui d'une voix émue, qui trahissait toute la peine que je ressentais rien qu'en le regardant. Je ne me camouflais plus derrière cet éternel filtre de jeune fille parfaite qui rendait les choses si faciles au quotidien. Au contraire, j'agissais spontanément, sans réfléchir à l'avance à quel boniment passe-partout j'allais bien pouvoir inventer pour calmer le jeu. Et à vrai dire, c'était la première fois que je me permettais de me comporter ainsi en présence d'un quasi-inconnu.
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Alter
Romance- Donne moi ton portable, m'ordonna-t-il d'un ton froid qui me fit presque sursauter. Face à cet inquiétant bourbier, et en dernier recours, je décidai de dégainer ma botte secrète, une arme imparable qui en effrayait plus d'un : mon humour. D'une v...