Chapitre 2

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Il expulsa de son poing une poussière carnée, impalpable et lumineuse, que son soupir dépêcha de caresser les narines de la fille. Thomas crut entendre un soupir imperceptible, mal retenu, comme plaintif, qui soulevait sa poitrine de temps à autre. Newton, ayant approché l'homme et saisi sa taille, énonça, son calme entrecoupé d'aspirations excitées : « Elle est temporairement plongée dans un sommeil invincible, elle ne saura rien de ton absence. Maintenant, serre-moi fermement. Je n'aimerais pas que tu m'échappes en route. » Thomas obéissait, happant vivement la lanière en cuir, pressant délicatement leurs bassins, subordonné à une timidité apparente et touchante. Newton ajouta : « Tommy, excuse-moi de t'assaillir de la sorte... je ne fais qu'enchaîner les nouvelles d'un quotidien que tu avais il y a déjà quinze ans. Pardonne ma hâte, mon manque de tact... te revoir est... tant important pour moi. Cela m'anime d'une folie naïve, abreuve un désir que je porte depuis toujours. J'en suis tant aveuglé que j'en oublie tes ressentis... tu dois être perturbé comme je le suis.

- Je suis perturbé de joie, si c'est cela que tu entends... sourit-il, rougissant encore.

- Tommy, tu me fais trop d'honneur...

- Je suis sincère, tu le sais. Je garde cet espoir depuis toujours, moi aussi. Je n'arrive simplement pas à y croire... Je décide de passer une courte semaine ici, après presque vingt ans sans l'avoir fait... et tu es là, tout comme un miracle. J'ai... bien du mal à y croire.

- C'est aussi mon cas... je t'ai attendu tant d'années. J'avais la certitude que tu ne me reviendrais plus jamais, qu'on me privait de ce plaisir éternel. Mais te voilà, près de moi. Ton corps, ton souffle, ta voix... tout de toi m'avait tant manqué.

- Ta perte m'a anéanti... je pensais aussi qu'on me punissait. Mais notre destin ne nous en veut peut-être pas autant, après tout, n'est-ce pas ? »

Des minutes plus tard, sous les poussées du vent, ils s'infiltraient à travers des gros nuages immobiles, roulant sur la voûte du ciel éteint. Thomas se souvenait des premières fois où il s'était envolé avec Newton, de ses gémissements muets et de sa frénésie infatigable qui avaient agité ses pieds suspendus au-dessus de ses terres natales. Il perçut un murmure musical, incompréhensible, comme la voix des vagues, que le prince avait fait éclater au-delà des ombres de la nuit. Un trou noir perdit soudain son châle d'invisibilité, sa taille s'intensifiait au fur et à mesure que Newton parlait sensiblement.

« Le portail... dit Thomas, remonté de souvenirs, de craintes.

- Garde les yeux clos. Tu pourrais perdre la vue. »

Il enfuit son visage dans sa poitrine, l'agrippant de toutes ses forces, de toute sa volonté, avalant un cri vif quand une eau fraîche et écumante sembla inonder ses vaisseaux sanguins. Il s'écoula des secondes languissantes, chargées d'effroi, Newton annonçant enfin, l'homme grelotant dans ses bras : « Nous sommes arrivés, Tommy. Tu peux ouvrir les yeux. »
Des feuilles rosées se laissaient bercé par les brises parfumées de leur vallée fluviale et immense, sur laquelle des habitations rurales et mixtes, demi-ferme, demi-manoir, étincelaient d'un teint fleuri près des rivages sinueux. Ils avaient atteint la section quatre, celle qui bordait Epona et le Palais Royal. Le Glade était morcelé en huit parts égales, chacune plus vaste et plus variées encore que la maigre surface de la Terre, qui s'unifiaient en une utopie fantastique, vivant pour mépriser les fadeurs du monde gris.

« C'est... splendide... souffla Thomas, pris d'admiration et de ravissement.

- Cela l'est... mais ces paysages sont consumés par l'horrible Mal qui ne cesse de frapper. Nous ne sommes plus en sécurité ici.

- Est-ce pour cela qu'il n'y a pas de villageois ?

- La majorité s'est réfugiée dans un de nos plus grands bunkers, le Gnouf. Epona n'est plus fréquentée depuis longtemps. Nous sommes les seuls à encore y vivre, au palais.

- "Nous" ?

- Mes plus fidèles amis, Minho et Gally. Ils nous accompagneront dans notre mission ; ce sont d'excellents soldats, leur soutien nous sera précieuse. À présent, marchons. Il vaut mieux patienter au palais qu'à découvert. »

Entre deux mondes - NewtmasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant