Chapitre 4

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De courtes heures durant, Thomas ressuscita subitement de son engourdissement, dans lequel il ne replongeait plus. Le prince, assoupi, ne percevait pas ses pas feutrés sur le carrelage, approchant les bureaux luxueusement installés, où étaient relégués un tas de lettres, de doléances et de paperasses méthodiques, couvertes de chiffres. Thomas mit une chandelle un peu de côté, parcourut les formulaires judiciaires, les signatures et les textes diplomatiques. Il y décela, au milieu des paquets volumineux, une lettre inédite, extravagante, déroutant la curiosité du lecteur par quelques lettres capitales.
« La Mort se saisira bientôt du Roi, mais il use de sa main pour punir son fils. Pourtant je me sais innocent, je sais le serrement d'amour que j'ai prêté. Il est homme, serait-ce sa nature qu'on condamne par les coups et mon sang ? Le Roi, celui que le Ciel me subordonne au nom affectif de "père", est ignorant comme son peuple. L'Homme n'a que trop de mystères, de passions égarées et de codes, qu'ils me tardent de découvrir et d'apprendre. L'univers a créé jadis l'impossible rencontre de nos antithèses, sur laquelle on trébuche à la façon des hypocrites aveugles. On ferme l'excellente beauté du monde gris, on empêche quiconque de connaître et de prononcer ses merveilles. Tommy a la perfection de nos terres ancrée dans ses gènes, il fait mon bonheur et décide de mon joyeux fatum. On m'en sépare pour m'assassiner, car à seulement onze ans il est Le sublime, Le grandiose et Le magnifique, il est La puissance de nos Rois et de Reines, La pureté de nos plantes et celle de nos astres. Il sera aussi mon malheur. Oui, prisonnier, exploité, la vermine, l'infâme nature qui me fait se cache dans ses appartements, loin de l'intérêt du monde et loin de son regard. Je pleure, j'hurle, je le fais pour les douleurs que mon absence prompte et injustifiée lui cause, je me lacère et me déchire, je ne veux que me perdre dans ce néant qui devient peu à peu ce que je suis. 
Mais, au grand couchant, j'aperçois une flamme, fébrile, délicate, crachant son dangereux feu sur leur haine et nos disparités : c'est l'espoir, je le sais. Cet espoir que je capturerai pour en faire notre réel. Khamętån.

Newton. »

Une culpabilité réelle, absolue, qui naissait de sa complaisance, revenait promptement à Thomas. Ces mots couverts parlaient d'accusations injustes, de caractéristiques intimes et de rites sacramentels, qu'aucun homme ne devait jamais pénétrer. Ils étaient le fondement spirituel de Newton et n'appartenaient qu'à lui. Pourtant Thomas lisait les lettres noires, ne pouvant partager cette douce attente, accaparé par la vision qu'elles faisaient apparaître, celle d'un enfant qu'il avait perdu un jour. Ce même soir Thomas ne retrouva plus son inquiète vigilance, car enfin, il avait reçu l'attestation de la sincérité la plus éclatante.
Newton le réveilla le lendemain, voyant luire l'aube blanchissante que les fenêtres ogives reflétaient en vitraux de mille couleurs. Il l'habilla de soie noire de très grande richesse, fixant à son torse deux lanières en cuir qui se croisaient en diagonale.

« Voilà. dit-il une fois sa quête achevée, échappant un sourire charmé et timide. Ainsi, tous comprendront que tu fais partie de mes rangs, tu obtiendras un respect honorable. Cela pourrait t'éviter quelques malheurs.

- Je ne sais pas comment te remercier... bredouilla Thomas. Je n'ai jamais rien porté de pareil.

- Ne le fais pas, Tommy. Cela te va tant, tu es si beau... Ils sont aussi très confortables lors des combats. Non pas que j'en prévois un... »

Minho et Gally les attendaient autour de viennoiseries fraîches sur les fauteuils moelleux et jaunes de l'antichambre voisine, ornée de torchères d'argent massif et d'élégantes tables de jeux de dames. Le plus large des deux toisa Newton d'un œil sec, élevant sa voix stentor que les tapisseries épaisses et les tapis laineux absorbaient : « Quel itinéraire prenons-nous ? tu as été discret sur ce sujet, et je sais que cet enchanteur est reclus dans la plus lointaine des comtés.

Entre deux mondes - NewtmasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant