Chapitre 3

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Les tours perlées étincelaient dans la nuit, la lueur des astres lissait leurs tuiles bleues. Le palais superbe, surmontant les collines dans une province reculée, au milieu des arbres aux robes longues et belles, atteignait les proportions des plus invulnérables géants. Les façades monumentales, ruisselant à la façon des pierres de lune, dressées comme apothéose, étaient bordées par une avenue de sentiers magnifiques, sous l'éclatante et céleste lumière des lampadaires. Thomas se prenait de passion pour cette incarnation de la pudeur, pour cette image parfaite de la magnificence des anges. Le vestibule spacieux, éclairé de lanternes garnies de vitres et orné de fleurs, donnait sur les larges et grandioses escaliers de marbre, qu'ils gravirent en-dessous des lustres bas aux pendeloques de cristal.

« Je n'ai jamais rien vu de tel... dit lentement Thomas, submergé de sentiments forts.

- Cela est vrai... murmura Newton en retour. Nous occupons le troisième étage, nous avons jugé que nous y serions plus en sécurité. L'état des fondus les rend incapable de grimper ces marches.

- Les... fondus ?

- C'est ainsi que nous appelons les contaminés. »

Ils entrèrent un salon immense, meublé en blanc et en satin, tenu à l'écart des antichambres réservées aux jeux et des cabinets. Deux hommes y patientaient. Le premier, grand et fort, aux cheveux châtains et rasés courts, portait un regard vert, transperçant, dévisageant Thomas sans perdre son sérieux. Le second, plus petit et moins musclé, arborait un rictus franc, parfois coupé d'un sourire joueur, lui accordant une attention plus accueillante au travers de ses yeux pareils à l'améthyste.

« Tommy, introduisit Newton, voici Gally et Minho. Ils possèdent tous deux de très fructueuses vertus.

- Je suis Minho. annonça le plus mince. Tu es mon premier humain, tu devrais t'en sentir honoré !

- Plutôt honoré d'être mon premier. interrompit Gally. Mieux vaut disposer du don de téléportation que celui d'ultra vitesse.

- Téléportation, certes, mais sur dix kilomètres seulement !

- Au moins je n'en sors pas tout aussi épuisé que toi !

- Comme tu peux le constater, ils ont tendance à se chamailler régulièrement... moqua Newton.

- Ton humain ne nous jugera pas. défendit Gally. Thomas, est-ce là ton nom ? quel âge as-tu ?

- J'ai vingt-cinq ans... bredouilla le garçon, subordonné à son allure intimidante.

- Est-ce toi, la cause qui empêche Newton de se marier ?

- Sottises... murmura le prince.

- Sais-tu qu'il sacrifie la couronne pour toi ?

- Ne lui impose pas le fardeau de mes décisions, Gally. Je ne sacrifie pas la couronne, et ce pour personne. Non, je la décline.

- Voilà une charmante dévotion. ironisa Minho. Qui sera notre gouverneur, une fois la Braise éliminée ? Tu es le dernier héritier royal, tu es irremplaçable.

- Ce n'est pas parce que j'ai le sang que je dépose de ces qualités là.

- Si tu insinues la situation de ton père, tu n'auras rien de lui, Newton. intercepta Gally. Tu ne lui as jamais ressemblé, tu ne le feras jamais. Tu aimes ton peuple, ce n'était pas son cas.

- Comment puis-je en avoir la certitude ?

- C'est pour cela que tu dois te marier. insista-t-il encore. Ce sera ta seule opportunité de gouverner avec un soutien.

- T, te... Te marier ? déglutit Thomas, sa voix sortant sèche et rauque.

- Je ne le ferai pas, Tommy. sourit-il doucement. Je ne le ferai jamais.

- Eh ? fit Minho. Avez-vous un arrangement marital ?

- Non, non, aucunement... balbutia le prince. Simplement... Tommy sait combien je déteste mes devoirs. Ils ne m'ont jamais convenu, pas même lorsque j'étais enfant.

- Te marier te ferait du bien. appuya Minho. Cela réduirait drastiquement ton libertinage...

- Plutôt me crever les yeux.

- Le mariage n'est pas un emprisonnement ! contredit Gally. C'est un serrement céleste, une loi enchantée !

- Va, épouse une inconnue, si cela est ton souhait. Mais aucun homme n'aura ma main, aucun.

- Majesté... je crois élucider vos contraintes secrètes.

- Bien, je me languis de l'entendre.

- Tu n'es intéressé que par le seul que tu n'as pas le droit d'avoir. glissa-t-il à son oreille.

- A, assez comméré... rougit légèrement Newton. Nous partons à l'aube, il est plus sage de se coucher que de blatérer au sujet de mes amours déçus...

- Bien entendu, votre altesse. chantèrent-ils en chœur.

- C'est cela, c'est cela... soupira-t-il. Viens, Tommy. Laissons ces barbares. »

Il l'amena dans les couloirs voûtés de l'aile ouest, longs et indéfiniment grands, les induisant à une chambre garnie d'un blason aux fleurs de tournesol. Les meubles, enrichis de porcelaines précieuses, évoquaient le lointain, les échanges de biens organisés entre les Sections. Le lit à baldaquin, issue d'un style rococo, versaillais, était surplombé de moulures marchant au plafond, modulées en référence aux éléments du sommeil. Thomas put reconnaître parmi elles le sphinx et la fleur de pavot.

« Tommy, l'interpella Newton dans sa contemplation, serait-ce pour toi inconvénient, si je me déshabille à moitié ? il fait ici une chaleur excessive.

- Non, pas du moins. En revanche je grelotte presque... je ne vois pas comment tu peux avoir si chaud.

- E, eh bien... j'ai souvent ce ressenti... confessa-t-il. Ce n'est pas agréable, mais j'ai appris à m'y habituer.

- Dormons-nous ensemble dans ce lit ?

- Nous en avons convenu ainsi. Gally et Minho occupent tous deux un lit différent, mais ils restent dans la même chambre en cas de danger. Quant à moi, je préfère être certain qu'il ne t'arrive rien. Cependant, si cela te préoccupe, je dormirai au sol. Je veux simplement que tu me sois accessible.

- Non, non... je n'y vois aucun embarras. Cela remontera nos souvenirs d'enfance.

- Il est vrai que nous avons vu des dizaines de nuits ! Tu étais bien courageux de veiller dehors près de moi.

- J'admirais tant ce monde qu'il a fait de moi un naïf sans prudence... rit-il légèrement. Heureusement tu savais déjà te défendre malgré ton âge.

- Je ne me serais pas laisser une dague dans les mains pour autant... j'ai failli me les couper !

- Non, tu es trop modeste ! Tu maniais les armes à la perfection, je ne t'ai jamais aperçu manquer une cible.

- C'est parce que je me concentrais pour toi... sourit-il tendrement, observant Thomas se perdre aux merveilles de la chambre. Cette pièce te plaît-elle ?

- Elle est absolument splendide... répondit-il, effleurant les ornements des miroirs. Était-ce déjà la tienne à l'époque ?

- Tout à fait, je ne l'ai pas quittée. Je trouve qu'elle a des qualités... apaisantes. J'aurais aimé te l'avoir présentée plus tôt, dans un tout autre monde où mon père n'était pas ce qu'il fut.

- Non, il n'aurait pas été sage de le faire... j'aurais refusé de m'en aller. gloussa-t-il.

- Cela est vrai, cela est vrai... ricana-t-il à son tour. Il n'empêche que j'ai rêvé de notre vie, celle où nous vivons ensemble au palais, près de mes amis, peut-être aussi des tiens, et surtout près de toi.

- Oui, cela aurait été merveilleux... répondit-il d'une voix faible. »

Newton, avec un sourire amer, alla tirer les rideaux vert mentholé, fort épais, ornés d'une bordure finement brodée. Il s'assit sur le matelas en soie blanche impériale, se retirant de ses chaussures et de son pantalon. Thomas se joignit à lui, admiratif face aux beautés du lit en bois d'ébène, se glissa sous les draps souples et frais, parsemé de signes cousus en argent. Il y trouva un sommeil profond et paisible.

Entre deux mondes - NewtmasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant