Chapitre 12

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Les rayons solaires se couchaient sur le dos de l'étang, près duquel Chuck ne rêvassait plus. Les cieux, de leur bleu divin, chassaient leurs nuages, leur clarté illuminait l'herbe et faisait briller l'eau à la façon des satellites. Il soufflait un vent clément, partant tonifier les feuilles des grands arbres, virevoltant entre les pétales des fleurs, effleurant les oreilles affutées des biches somnolant au bois voisin. Il aspirait un jour magnifique, un jour qui avait évincé ses malheurs, cessé de traîner ses chaînes. Thomas, quittant son sommeil, étira ses bras, dans lesquels Newton ne s'agglutinait plus. Le garçon, de sa mine soucieuse, s'était joint à son cheval, qui s'abreuvait au point d'eau.

« Ne t'en fais pas, Mistral. disait-il, caressant son chanfrein. Cette forêt n'est que paix. S'il est attiré par les propriétés de ses plantes, cela ne représente pas le moindre danger. Quoique je me demande ce qu'il compte en faire... [...] Oui, je suis méfiant... cet enfant en sait à mon sujet... trop à mon goût... Hier, alors que nous venions de nous rencontrer, je l'ai entendu converser avec Tommy... il parlait de moi, de ce qui m'est arrivé après sa perte. [...] Bien sûr, que cela me dérange. Si Tommy n'avait pas abordé le sujet au soir, il serait resté seul, dans une culpabilité injustifiée. Je ne sais pas ce que ce Chuck voulait, s'il se doute de son identité... cherche-t-il une prise de conscience ? [...] Mais... je devrais me réjouir qu'il n'en n'est pas prononcé davantage... [...] Tu le sais... mes symptômes... ce qu'ils me feront... Il ne doit jamais le savoir. »

Les monts des montagnes harpèrent son regard, en firent un agrégat de songes. Il s'oublia à travers le silence naturel, parfois bercé par la mélodie de la brise.

« J'aimerais revenir en arrière... déclara-t-il enfin. J'aimerais avoir demandé son âme au premier jour, bien que nous nous la sommes promise sans le savoir. [...] Nous étions jeunes, mais il est à présent trop tard... Il a trop d'affection pour son monde, il y est trop habitué, trop fasciné par ses cadeaux, par ses mystères... bien trop pour s'en séparer... uniquement pour quelqu'un comme moi... [...] Tu le sais, Mistral... j'adore mon royaume, mes sujets, mes plus fidèles amis - vous... mais je m'en priverai pour lui... T'ai-je déjà dit, pourquoi j'ai dégainé ma célèbre dague, ce jour-là ? Pourquoi j'ai failli tuer le seul organe qui m'animait depuis notre rencontre - mon cœur ? J'ai accepté ma non-valeur, j'ai accepté que je ne le valais pas et qu'il m'avait laissé en le comprenant. J'ai été possédé par un élan d'amour et de sacrifice, ce jour-là. Je me suis résigné à effacer la douleur que j'avais diffusée dans ses veines, à réparer mon terrible coup de foudre qui l'avait rendu victime. J'ai voulu le préserver de ma passion, le préserver de ma présence - si un jour, j'avais l'opportunité de lui la dédier une nouvelle fois. Voilà pourquoi le cœur. J'ai assassiné en moi ce qui m'assassinait. J'ai voulu bouleversé ce fatum qui lui promettait la mort en provoquant la mienne. Je me suis tué, ce jour-là. Mais pas de la façon dont j'avais espérée. »

Thomas, saisi d'horreur, eut voulu bâillonner le prince, ne plus jamais subir la mention affreuse de ces prédictions. Il eut poussé un cri affreux, un cri qu'ayant éclaté dans sa tête. Malgré cela il sonna en lui comme l'appel du tocsin, commotionnant son corps de ses frissons fatals et amples.

« Oh, Tommy, mon cœur, t'ai-je réveillé ? prononça le prince d'un ton tendre en apercevant ses yeux ouverts.

- Du tout, du tout... répondit-il, bredouillant d'émotion, se levant lentement pour le rejoindre.

- As-tu froid ? Tu trembles comme une feuille. s'inquiéta-t-il tandis qu'il tâtait ses joues.

- Je vais bien, appuya-t-il, tu es là. »

Newton, emballé par un excès de joie, fut interrompu par Chuck, venant à eux. Le garçon avait positionné une rose violette parmi ses boucles grises, qu'il arrangeait parfois de deux doigts.

Entre deux mondes - NewtmasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant