Entre deux mondes - Newtmas

Chapitre 8

Les murailles de Täïkt, voilées de lierres grimpants et de brèches, avait vomi quelques unes de ses pierres, enjolivées d'ancolies violines et d'azalée blanches. Il restait d'elles deux murs jouxtant les étendues de lavandes, que les vigne-vierges carminées avaient drapés vers l'est. Newton descendit de son cheval, approchant les ruines en souriant. Il relata, gorgé de fascination et d'honneur, le regard noyé de grâce : « Tu vois ici un cadavre négligé, il est en réalité la dernière trace non manuscrite de nos ancêtres. Les premiers mages de nos terres se sont réunis en ces lieux. Seydris, notre enchanteur, était l'un d'eux. Cette ferme a survécu des siècles durant... La Braise, à elle seule, l'a déjouée de sa puissance structurale. C'est un regret amer, mais il ne soustrait aucunement cet héritage divinement symbolique... acheva-t-il, se tournant pour les rejoindre. Maintenant, sautez, mon prince. Vous pouvez me faire confiance, je ne manquerai pas de vous rattraper.

- Newt, si je le fais, ma boiterie n'aura plus d'importance car je n'aurais simplement plus de jambes... refusa-t-il, grignant la commissure des lèvres. Penses-tu qu'il pourrait se baisser ? cela serait davantage abordable...

- Il voudra bien le faire pour toi. Ai-je raison, Mistral ? »

Le pégase rabattit ses oreilles et battit des ailes et de la queue. Il se dressa sur les postérieurs pour s'élancer au galop, foulant les fleurs qui figuraient une piste prune et droite.

« Prends la crinière ! s'écria Newton, partagé par le souci et le rire. »

Ils se disjoignaient compendieusement des terres, élevés par les zéphyrs faisant voleter cheveux et crinière entre leurs doigts. Thomas s'enivrait d'une satisfaction énigmatique, comme si effleurer la lueur infiniment bleuâtre était s'octroyer sa richesse et sa grandeur. Par delà les brises Mistral crevait les nimbus d'hennissements forts et argentins, qui ricochaient dans des bourrasques résonnantes, soûlant Thomas d'espoirs et de rêves. Ce fut un sifflement strict qui fit éclore son vertige boursouflé d'exaltation puis tendre les grandes pointes velues des oreilles du pégase. Dès l'abord, l'animal plongea d'aplomb. Thomas, sentant ses organes se hisser au naufrage, capitula contre la chair bâtie à chaux et à sable, tirant et serrant les crins, replié sur l'énorme encolure qui se précipitait encore. Mais Mistral avait sa subtilité, incorporée à une élégante attention qui élaborait son raffinement. Il haussait modérément la nuque au lieu de préserver sa rondeur splendide, voulant redresser l'homme sur son dos qu'il prémunissait contre une projection subite en surbaissant soigneusement la croupe.
Quand ils revinrent àTäïkt, Gally et Minho les inspectaient auprès du prince. Quoiqu'ils avaient le visage terreux et pas moins défraîchi, ils prodiguaient à leur vue des sourires guillerets, réjouis d'ovations et de rires rayonnants, qu'ils faisaient éclater dans la vallée à la façon d'un tocsin d'honneur. Newton courut à eux avec une félicité resplendissante. Il gratta le chanfrein du cheval, demandant promptement, comblé d'ébullition : « Vous étiez sublimes...! tu étais sublime, Tommy, tu l'es tant...! Je n'avais jamais rien admiré de tel ! J'éprouve la fierté d'une véritable mère...! Comment te sens-tu, dis-moi ? Cela t'a-t-il plu ?

- C'était extraordinaire ! Mistral est grandiose, pourtant si sérieux ! Nous sommes redescendus dès ton appel.

- Eh bien, c'est que tu me manquais déjà ! non pas que la compagnie de ces deux sots ne me soit déplaisante.

- Moi qui pensais que mon absence te tuait ! se révolta Minho, approchant avec Gally. »

Thomas posa pieds à terre, mais ne retrouva pas ces beaux yeux, immenses et noirs, dont il avait rêvé durant toutes ces années d'espérance. Newton portait maintenant deux billes d'or, qui flamboyaient à la réflexion du soleil bas et chaud.

« Qu'y a t-il, Tommy ? dit-il avec inquiétude, pliant légèrement les traits de son front.

- T... Tes yeux...